Malgré l'interdiction, hier, par les autorités du forum atelier sur « La mémoire des victimes pour la reconstruction d'une société », les ONG de victimes des années rouges ont quand même pu se rencontrer et exprimer leur rejet du déni de vérité. « La mémoire des victimes pour la reconstruction d'une société » est le thème d'un forum-atelier que devait organiser, hier, à la maison des syndicats à Bachdjarah à l'est d'Alger, le Collectif des familles de disparus en Algérie (CFDA) en collaboration avec SOS disparus, la Fédération euro-méditerranéenne contre les disparitions forcées (FEMED) et les associations Djazairouna et Somoud. Malheureusement, les animateurs de cette manifestation ont été empêchés par les services de sécurité d'accéder à l'intérieur de cette nouvelle enceinte et de tenir par là même leur forum. L'argument avancé par les policiers qui ont été dépêchés par les responsables de la wilaya d'Alger est l'absence d'une autorisation. Pourtant, depuis l'ouverture de cette maison des syndicats, plusieurs rencontres ont eu lieu dans cet espace sans aucune autorisation préalable ! Autre aberration : le refoulement hier à l'aéroport d'un des participants marocain, Mohamed Errahoui, ancien détenu politique dans les geôles de Hassan II. Mais, en dépit de ces obstacles, les initiateurs de ce colloque ont refusé de baisser les bras et ont décidé de tenir leur séminaire au siège de SOS disparus à Alger-centre. A l'ouverture des travaux, l'ensemble des intervenants ont condamnés l'attitude des pouvoirs publics qui tentent par tous les moyens de museler la parole en empêchant l'expresison libre et publique. « Nous ne sommes pas à notre première interdiction. Mais cette fois-ci, notre séminaire a été interdit de manière illégale, car aucune décision ne nous a été signifiée. Nous allons maintenir cette activité et dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas », a souligné Nacéra Dutour, porte-parole du CFDA. Cherifa Khedar, présidente de l'association Djazaïrouna, a rappelé que le forum en question s'inscrit dans le cadre des activités et des réflexions menées par les différentes associations en vue de la mise en place d'une commission « vérité en Algérie ». Ce cycle de réflexions et de propositions a débuté en avril 2008 avec un premier forum-atelier qui s'est tenu à Blida et avait pour thème la justice transitionnelle. Hier, des proches de disparus, des victimes du terrorisme et les membres de la société civile qui s'intéressent au thème de la préservation de la mémoire ont pris part à cette rencontre. Nedjma Benaziza, vice-présidente de CFDA a expliqué l'importance que revêt une telle manifestation hautement symbolique en ce qu'elle se situe à quelques jours d'une date historique du 5 juillet. Benaziza, dont la grand-mère est portée disparue, estime que « la mémoire implique la connaissance du passé et de toutes ses conséquences ». « Aussi longtemps qu'on la couvrira du voile d'un pardon sans justice, il sera impossible d'envisager un avenir de paix au sein d'une société réconciliée », poursuit-elle. Pour sa part Adnane Bouchaïb, secrétaire général de Somoud, pense que la vérité et la justice sont les piliers indispensables pour la réalisation d'une réconciliation réelle et sérieuse. « Les sociétés en transition, que ce soit de la guerre à la paix ou d'une régime autoritaire vers un régime plus démocratique, se trouvent inévitablement confrontés à une obligation de réparation des dommages causés par les violations du passé », a-t-il ajouté. Bouchaïb évoque deux catégories de réparation : matériel et symbolique. La première prend la forme d'indemnisation tandis que la deuxième peut se manifester par une reconnaissance solennelle ou des excuses officielles, par la construction de monuments commémoratifs. De son côté l'historien et directeur de la revue Naqd, Daho Djerbal, décortique les avatars de la mémoire en situation postcoloniale entre amnésie et hypermnésie. L'orateur parle des traumatismes dus à la guerre de manière générale, à la question de l'oubli, de l'impunité. Le journaliste El Kadi Ihcène lui est revenu sur la charte pour la réconciliation nationale qu'il qualifie d'échec.