Abdelaziz Bouteflika a pris le risque de déplaire aux travailleurs. Son discours, somme toute attendu, n'a pas mis du baume au cœur des millions de salariés. S'échinant à expliquer, chiffres à l'appui, les réalités économiques du pays en insistant sur sa dépendance totale des hydrocarbures, le chef de l'Etat a souligné l'absence de productivité économique nécessaire pour décider d'une augmentation des salaires. « Je suis avec Si Ahmed Ouyahia », a-t-il indiqué en levant sa main vers le chef du gouvernement qui était tout souriant, surtout lorsque le Président lui a donné raison quant aux décisions qu'il avait prises à la faveur du programme de l'ajustement structurel opéré à partir de 1994. « N'importe qui d'autre, à sa place à l'époque, aurait pris les mêmes décisions. Les conditions du pays ont dicté de telles mesures », a-t-il ajouté, tentant ainsi d'effacer un passif qui pèse trop sur l'avenir politique d'Ahmed Ouyahia. Le chef de l'Etat a en effet conforté la position du chef du gouvernement, qui a déclaré, en janvier dernier, que « l'augmentation des salaires est une revendication pressante mais illégitime ». S'imprégnant de la sagesse populaire, M. Bouteflika dira : « Faqid chay' la youâtih (celui qui ne dispose pas de la chose ne peut pas la donner). » Il dit avoir compris les travailleurs et qu'il est de leur droit de revendiquer, « mais je vous ai habitués à ma franchise », a-t-il déclaré avant d'ajouter : « Gardons-nous, en cette période d'aisance financière, de toute tentative de céder une nouvelle fois aux sirènes de la démagogie, du laxisme et de l'affairisme débridé, alors que la conjoncture actuelle du marché des hydrocarbures risque de se renverser à tout moment. » Il conditionne l'évolution des salaires par un accroissement de la productivité du travail. « La crise de l'endettement, qui a caractérisé la dernière décennie, a révélé l'extrême fragilité de notre économie (...). Du fait de sa grande dépendance vis-à-vis des hydrocarbures, l'économie a subi de plein fouet l'effondrement du marché pétrolier en 1986. La crise de liquidités l'a amené à recourir massivement à l'emprunt extérieur, pour importer les biens de consommation de base », a-t-il noté tout en appelant les Algériens, les salariés en particulier, à « se convaincre qu'une augmentation générale des revenus du travail, sans contrepartie d'une amélioration du niveau réel de productivité, menacerait la stabilité macroéconomique rétablie (...) ». Pour étayer ses propos, le chef de l'Etat a indiqué que l'Algérie exporte moins d'un milliard de dollars hors hydrocarbures, ce qui représente, d'après lui, seulement 40% du budget de fonctionnement de l'Etat. « Mes paroles sont peut-être dures et sévères. Elles sont peut-être dures à entendre, à supporter par certains. Il m'était pourtant possible d'être hypocrite, de dire des contrevérités, de dire que tous les indicateurs sont au vert et tout va bien. Mais ma conscience ne me le permet pas. Il fallait que je sois franc et que je vous fasse part de cette autre réalité du pays qui continue à bloquer notre chemin vers la prospérité, car il faudra y trouver des solutions », a-t-il ajouté, précisant en outre que « le niveau et la qualité de la croissance économique sont déterminés, pour l'essentiel, par la productivité du travail ». Il estime que « la relation salaire-productivité doit désormais s'imposer à tous, y compris et surtout au secteur industriel public, manufacturier en particulier, qui est en régression régulière depuis plusieurs années, au rythme de 1,3% par an en moyenne ». Il trouve qu'en matière de productivité du travail, l'économie algérienne « est même au-dessous des standards régionaux ». Il a rappelé qu'il y a eu des augmentations de salaires et des régimes indemnitaires depuis son arrivée au pouvoir en 1999 en citant la dernière hausse du salaire national minimum garanti qui a eu lieu en janvier 2004. « Ces augmentations ont alourdi les charges de l'Etat et des entreprises publiques, dont certaines ont, dans le même temps, été contraintes de procéder à des compressions d'effectifs », a-t-il observé, relevant en outre que les entreprises publiques ont consommé de la croissance plus qu'elles n'y ont contribué. Selon lui, les transferts sociaux ont beaucoup augmenté depuis 1999. Leur montant s'élève, pour l'année en cours, à hauteur de 512 milliards de dinars, soit une évolution de 14% par rapport à 2005. Ces transferts représentent 20% du budget de l'Etat et près de 10% du PIB (produit intérieur brut). Aussi, il a indiqué que le revenu nominal par habitant a doublé en six ans, passant de 1621 dollars en 1999 à 3114 dollars en 2005. Le chef de l'Etat dit avoir tiré les leçons du passé où l'Algérie « a déjà payé un lourd tribut », en raison de « l'absence d'anticipation lucide », qui a été, selon lui, à l'origine « de graves difficultés financières, de ses tourmentes et, pour partie, de la tragédie nationale ». M. Bouteflika souligne avoir fait deux choix stratégiques : maîtriser l'endettement extérieur et doper la relance économique. « Ces deux choix ne sauraient être remis en cause par des impatiences sans doute légitimes aux yeux des intéressés eux-mêmes, mais qui détruisent la possibilité réelle d'éradiquer le chômage et oblitèrent l'avenir des générations futures », a-t-il martelé. Ainsi, les réserves de change vont servir, d'après lui, au remboursement de la dette extérieure qui sera ramenée à 13,9 milliards de dollars fin mars 2006 et à stimuler la création de l'emploi. Cependant, le chef de l'Etat n'a pas coupé l'espoir aux travailleurs d'avoir des augmentations salariales en renvoyant le dossier à la tripartite. « Notre pays se doit, à présent, de veiller jalousement à la préservation de la paix sociale. (...) J'invite donc l'UGTA et les associations patronales, comme j'exhorte le gouvernement à poursuivre, dans les brefs délais, leur concertation tripartite en leur rappelant aussi que nous attendons d'eux la finalisation du pacte national économique et social qui constituera une nouvelle avancée pour le pays en lui offrant un cadre de référence pour l'avenir du développement national », a-t-il indiqué avant d'ajouter : « Vous serez à l'aise et le gouvernement sera tranquillisé. » Le chef de l'Etat encourage ainsi ses partenaires à continuer leur travail dans ce cadre qui « a fait ses preuves au fil des années ». Il estime que « s'ils sont francs et sincères, le dialogue et la concertation permettront aux travailleurs de récolter les fruits de leurs attentes en matière d'amélioration de l'environnement et de la législation du travail, de même qu'en matière d'évolution des salaires ». Le Président soutenu que toute augmentation des salaires doit tenir compte de la croissance, de la productivité et de l'inflation. Abdelmadjid Sidi Saïd, secrétaire général de l'UGTA, trouve que le Président a ouvert, à travers son discours, « les portes vers l'espoir par rapport aux préoccupations des uns et des autres ». Au sortir du Palais des nations, le patron de la centrale syndicale a exprimé sa satisfaction quant à la portée de ce discours. « Je n'y trouve aucune signification négative. Il a, au contraire, conforté le travail de la tripartite. »