Bien qu'ils diffèrent sensiblement d'un pays à l'autre, les effets de la longue et sévère phase de dépression dans laquelle se trouve l'économie européenne se sont vite traduits par une hostilité publique inédite envers les migrants. Les différents sondages et recherches, menées par des experts de l'Organisation mondiale pour les migrations (OIM) dans certains pays d'immigration, traditionnels et même récents, tels que la France, l'Italie, l'Espagne ou encore l'Irlande et le Royaume-Uni, livrent un constat sans équivoque : «Les comportements à l'égard des migrants ont changé depuis l'éclatement de la crise en Europe. Dans nombre de pays d'immigration, traditionnels et même récents, où l'opinion publique était relativement favorable à la migration, les tendances actuelles pointent vers le durcissement des attitudes envers les migrants». Ce constat, nombreux sont les spécialistes de la question des migrations à le partager. Même s'ils pensent que les retombées globales de la crise économique ne se feront entièrement ressentir que dans les années à venir, d'aucuns parmi eux sont déjà formels quant à l'ampleur de l'impact du repli économique subi de plein fouet par les marchés de l'emploi en Europe. Là où les travailleurs étrangers ont été les premiers à être sacrifiés, l'écart entre leur taux de chômage et celui des ressortissants nationaux ne cesse de s'accroître. On estime, en effet, qu'il s'élève à 24% pour le taux de chômage des non-ressortissants de l'Union européenne, pour un taux de 8 à 9% pour les nationaux. Pis, les perspectives d'emploi pour migrants s'amenuisent et le marché a tendance à devenir hermétique, de plus en plus d'obstacles se dressent devant les immigrants lorsqu'ils veulent le réintégrer. Une réalité que les politiques européens, français en particulier, ont toujours niée, clamant en chœur : «Notre seul souci est la lutte contre l'immigration clandestine pour éviter qu'elle n'entame l'image de la migration économique réussie». Les chiffres de l'Observatoire des inégalités en matière de pertes d'emploi chez les migrants du fait de la crise démentent cet «angélisme». 37,3% des algériens en France sans emploi S'agissant plus précisément des Maghrébins de l'Hexagone - pôle d'attraction de migrants nord-africains incontestable -, l'Observatoire note que pour la seule tranche des 30-39 ans, le taux de chômage est de 37,3% pour les Algériens, de 35,4% pour les Marocains et de 38,8 pour les Tunisiens. «A cela, il faut ajouter les effets de la concentration des populations issues du Maghreb dans les quartiers sensibles où, globalement, le taux de chômage est de deux fois supérieur au taux de chômage moyen du pays, voire trois à quatre fois supérieur dans certains quartiers», tient à préciser Hocine Zeghbib, coordinateur des Programmes du Grand-Maghreb et de l'Afrique sahélienne (université Montpellier III). D'où les appels incessants de plusieurs ONG de défense des droits des migrants, dont la Cimade, Migreurop ou AFAD (Algérie) aux sociétés d'accueil à plus de discernement, à moins de discrimination, à cesser de percevoir les migrants comme des personnes qui s'approprient les emplois des travailleurs locaux et comme étant responsables de tous leurs maux. Du côté des experts de l'OIM, le langage est beaucoup plus «diplomatique» : «Le resserrement des contrôles d'immigration de travail auquel ont recours plusieurs pays peut sembler attrayant à court terme, mais il ne faut pas occulter l'éventuelle demande à long terme de travailleurs migrants en Europe», car «si l'Europe veut devenir une économie plus compétitive et répondre de manière adéquate aux évolutions démographiques, il est probable que la migration doit suivre une courbe ascendante à l'avenir», mettent-ils en garde. Ce à quoi, a également appelé l'Organisation internationale du travail (OIT) qui, à son tour, exhorte les gouvernements nationaux, l'UE et les employeurs à ne pas se limiter à l'évaluation de l'impact de la crise sur l'emploi /chômage à court terme, mais également sur le besoin de croissance de l'emploi et de mise en adéquation des compétences à long terme. Car à ne pas omettre que même si elles n'ont pas été radicalement modifiées, les politiques migratoires ont, tout de même, été ajustées par nombre de pays d'Europe pendant la crise. A cette dernière, les réponses allaient d'«admissions plus restrictives, comme des réductions de quotas ou de permis de travail ou des restrictions en matière de regroupement familial, à des programmes de retour volontaire comme ceux mis en place en Espagne en passant par les mesures drastiques visant à lutter contre la migration et l'emploi irrégulier», souligne l'OIM. Effet boomerang Plus conciliante, l'Organisation intergouvernementale de défense des droits des migrants dans le monde a, en revanche, admis que les ajustements dans les politiques de migration en vue de les adapter à la conjoncture économique morose n'avaient pas seulement des fins restrictives : «Ils incluaient également des dispositions relatives à l'extension de visas et une opportunité de trouver un nouvel emploi pour les migrants se trouvant déjà dans le pays et ayant été licenciés, comme ce fut le cas en Irlande, ou encore de nouveaux canaux de migration du travail et l'introduction d'une nouvelle politique de migration, comme ce fut le cas en Suède de par le programme où ont été arrêtées une série de mesures visant à faciliter la migration du travail pendant la crise». L'adoption par les 27 du programme de Stockholm et la Stratégie Europe 2020 mise au point montrent que la migration demeure une question prioritaire au sein de l'UE. Dès lors, la mobilité des travailleurs migrants devrait être intégrée dans la relance économique au niveau national et européen, s'accompagnant de réformes du système financier ou de nouveaux programmes de mesures de relance. Car, soulignent l'OIM et l'OIT, il est aujourd'hui clairement admis que «les politiques qui excluent les migrants des mécanismes de relance vitaux risquent simplement leur propre exclusion du marché du travail», ajoutant : «Le capital humain en migrants existants et potentiels pourrait jouer un rôle crucial sur la voie de la relance économique et du renforcement de la compétitivité de l'économie européenne en comblant les pénuries de main-d'œuvre et en apportant les compétences nécessaires». C'est dire à tel point le violent vent de récession qui s'abat sur l'Europe suite à la crise économique qui a impacté l'économie mondiale dans son ensemble et les marchés de l'emploi à des proportions plus prononcées surtout en Europe.