Les Algériens, maltraités début mai à l'aéroport de Frankfurt, n'osent même pas remettre en question la position des Etats européens, mais s'indignent sur les formes dégradantes que prennent ces mesures et encore plus sur le silence des autorités algériennes. La cellule de communication du ministère algérien des Affaires étrangères rejette systématiquement tous les appels. J'ai été détenu durant trois jours à l'aéroport de Frankfurt, alors que j'avais en ma possession un visa Schengen et que tous mes papiers étaient en règle. J'ai subi des interrogatoires humiliants et j'ai attendu trois jours sans même avoir droit à un verre d'eau. Tout ça parce que je suis Algérienne !» La voix éteinte, la jeune femme poursuit : «Ils m'ont fouillée, rabaissée et se sont moqués de moi avant d'annuler mon visa et de me renvoyer vers Alger.» C'était le 5 mai à l'aéroport de Frankfurt, en Allemagne, où elle faisait escale pour rejoindre les Pays-Bas où elle était attendue. Mounia, cette Algérienne de 22 ans, prothésiste dentaire installée à Alger, a du mal à s'en remettre. Elle dit «avoir besoin de comprendre». Son père, pour sa part, a déjà entamé des procédures pour saisir toutes les instances allemandes, jusqu'à la chancelière Angela Merkel, qu'il tient pour responsable. Ils sont nombreux à s'indigner et à vouloir comprendre ces dépassements «méprisants» qui se répètent. Des milliers d'Algériens se font chaque année refouler des aéroports européens. Restrictions sécuritaires dues au Printemps arabe, à la lutte antiterroriste ou à la lutte contre l'immigration clandestine, autant de raisons invoquées pour expliquer de tels agissements. L'atteinte à la dignité humaine est criante et la remise en question des principes de la libre-circulation des personnes s'impose pendant que l'Algérie officielle continue de garder le silence, ce qui révolte d'autant plus les ressortissants ayant subi ces expulsions forcées. Pourtant, ces refoulements atteignent même les Algériens voyageant dans un cadre officiel. Ce fameux 5 mai 2012, Mounia n'était pas la seule Algérienne à avoir vécu le calvaire des interrogatoires forcés et des menaces. Deux autres ressortissants algériens ont eu droit au même traitement. Ils étaient, tous deux, munis, comme elle, de visas Schengen. Mieux, ces deux employés du ministère de la Culture voyageaient dans un cadre officiel. Même les officiels y passent ! Ces trois Algériens ont été détenus durant trois jours en zone franche pour être interrogés. Suite à quoi ils ont été contraints à payer des amendes pour échapper à la menace d'emprisonnement avant d'être expulsés sans explication. «L'interrogatoire a duré 8 longues heures, j'ai été victime d'un malaise, mais ils ont refusé de ramener un médecin. Ils nous ont obligés à payer une amende de 150 euros sous peine d'être emprisonnés de suite», raconte le cadre qui avait fait le déplacement suite à une invitation officielle pour assister à la Foire des arts graphiques organisée tous les 4 ans en Allemagne. Depuis, ils ont contacté le ministère des Affaires étrangères, notamment par le biais de leur tutelle, en vain. «Notre dignité a été bafouée, ils nous ont traités comme des criminels alors que nous étions en règle. L'Etat algérien doit réhabiliter notre dignité. Cette situation est insoutenable», explique-t-il encore. Mounia et les deux cadres du ministère de la Culture ne sont pas les premiers à s'être fait refouler de l'aéroport de Frankfurt dans de telles conditions. En mars 2011, un groupe de 23 Algériens avait été expulsé dans les mêmes conditions. Détenteurs de visas Schengen et voyageant dans un cadre touristique, ils avaient subi des interrogatoires interminables avant d'être refoulés de l'aéroport de Frankfurt quelques jours plus tard sans que les autorités algériennes ne réagissent. «Nous n'avons pas de réaction officielle à faire sur la question.» Il s'agit là de la réponse «officielle» d'une représentante de l'ambassade d'Allemagne à Alger. Et d'ajouter : «Tout ce que nous pouvons faire, c'est donner des informations sur les voies administratives à emprunter pour introduire un recours auprès des autorités compétentes en Allemagne.» Du côté du ministère algérien des Affaires étrangères, la réponse n'est pas meilleure. Silence radio. Le silence déroutant des autorités algériennes La cellule de communication rejette systématiquement tous les appels. Pendant que des citoyens lésés dans leur dignité réclament une réponse forte de l'Etat face au mépris qu'il leur a été affiché, l'Algérie officielle semble bien décidée à fermer les yeux sur la problématique de la libre-circulation des personnes entre les pays du sud de la Méditerranée et l'Union européenne, qui se pose avec acuité. En mars 2011, face à l'arrivée de nombreux migrants tunisiens transitant par l'île de Lampedusa, souhaitant regagner d'autres pays européens, l'Italie et la France avaient formulé le souhait d'aller vers «une gouvernance renforcée de l'espace Schengen». Un vœu qui a été exaucé. Et les Algériens semblent être les premiers à en payer les frais. «En voulant renforcer l'efficacité de Schengen, la France agit pour assurer la crédibilité et donc la pérennité de la libre-circulation en Europe», a précisé le Premier ministre, François Fillon, dans son discours à l'occasion de la journée de l'Europe le 9 mai 2011. Il avait ajouté : «Il ne faut pas que la libre-circulation des personnes soit vue par nos citoyens comme un laissez-passer pour la mendicité des enfants ou pour l'immigration illégale en provenance de pays tiers. Ce message a été compris par de nombreux partenaires, en particulier italien et allemand, et je veux dire que les récentes propositions de la Commission vont clairement dans le bon sens.» Ce qui a le mérite d'être clair. Les Algériens maltraités début mai à Frankfurt n'osent même pas remettre en question la position des Etats européens, mais s'indignent sur les formes dégradantes que prennent ces mesures et encore plus sur le silence des autorités algériennes.