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«Les prix de la viande sont poussés par les marges des multiples intervenants sur le circuit»
Rachid El Bouyahiaoui. Chercheur associé à l'INRAA
Publié dans El Watan le 23 - 05 - 2012

-Les prix de la viande ont connu une très forte augmentation ces derniers mois. Il s'agit d'une hausse de 30% entre 2010 et aujourd'hui. Qu'est-ce qui motive, selon vous, une telle hausse ?
Il faut relativiser les choses. La conjoncture que connaît le pays depuis 2010 est caractérisée par une augmentation des prix des produits de large consommation et une accélération du taux d'inflation, qui a récemment atteint les 5%. Il faut aussi reconnaître que la filière viandes rouges et produits carnés est très complexe en raison de la multiplicité des intervenants dans le circuit de la commercialisation et de la distribution. Elle est également caractérisée par une prédominance du marché informel.
La spéculation pousse ainsi les prix de la viande à la hausse. Aussi, la multiplicité des intervenants dans le circuit de distribution constitue un enjeu, car c'est au sein de ce circuit que les profits se font.
Les producteurs ne profitent pas des prix élevés de la viande. Il est vrai que ces derniers doivent composer avec la sécheresse et la cherté de l'aliment de bétail, mais le prix de vente de la bête sur pied ou de la viande dans les zones de production est très loin de ce qui est pratiqué à la vente au consommateur final. Pourtant, les ressources sont suffisantes pour largement couvrir les besoins du marché. Le cheptel compte 27 millions de têtes essentiellement de races locales bovines, ovines, caprines et camelines. Le cheptel est également caractérisé par une prédominance ovine. Je pense que si on arrive à organiser la filière, on pourrait exporter avec un label. Car, la viande produite en Algérie est biologique et dispose de qualités gustatives très appréciées.
-Comment expliquez-vous le recours à l'importation pour couvrir les besoins du marché ?
On importe surtout pour casser les prix sur le marché durant les périodes marquées par des pics de consommation, notamment durant le mois de Ramadhan.
-Pourriez-vous nous en dire davantage sur le circuit de commercialisation de la viande rouge ?
Il existe trois circuits : le court, le traditionnel et le long. Le circuit court concerne les zones de production dans les régions steppiques et dans les Hauts-Plateaux. Les consommateurs y sont chanceux, car se trouvant dans des bassins de production, ils n'ont pas affaire à de multiples intervenants. Les marges de commercialisation ne bénéficient dans ce cas qu'au producteur et au boucher.
Le second circuit, ou circuit traditionnel, voit l'intervention du maquignon. Celui-ci recherche des opportunités et achète l'animal auprès du producteur et le vend au boucher. Les maquignons font la liaison entre les zones de production et les zones de consommation. Le prix des bêtes commence alors à varier vu que le maquignon comptabilise certaines charges, comme le transport et l'aliment, en plus de sa marge.Le troisième circuit, plus complexe, est le circuit long et voit entrer un troisième intervenant qui est le chevillard. Celui-ci est un grossiste qui achète les bêtes pour les abattre et revendre la viande aux bouchers. On voit ainsi que plus on avance dans le circuit, plus les marges augmentent et plus la viande est chère. Les grandes villes se caractérisent par l'existence de circuits longs de distribution.
-Qu'en est-il des abattages clandestins ?
Les abattages clandestins sont non contrôlés mais offrent la possibilité au consommateur final de négocier le prix de vente. Toutefois les normes d'hygiène et les exigences sanitaires ne sont pas respectées, car la viande n'est pas contrôlée par les services vétérinaires.
La viande rouge est actuellement chère et inaccessible pour la plupart des ménages algériens. Quand le prix est élevé, le consommateur a recours à l'abattage clandestin, à la viande congelée ou à la viande rouge importée. On assiste à une substitution de plus en plus marquée à cause de la baisse du pouvoir d'achat du citoyen et de l'inflation.
Le gouvernement prépare actuellement un programme pour la réalisation de trois complexes d'abattage ainsi qu'une nouvelle chaîne de froid avec d'importantes capacités d'entreposage.
-Croyez-vous que cela permettra de réduire la pression sur le marché des viandes ?
Les complexes d'abattage contribueront, au même titre que l'Office national interprofessionnel des légumes et viandes (Onilev), à la mise en place de systèmes de régulation. On pourrait ainsi organiser la filière. Les trois complexes d'abattage projetés par la SGP Proda permettront d'industrialiser la filière.
-En tant que chercheur à l'INRAA, que préconisez-vous afin de réorganiser la filière ?
Un tel objectif doit impérativement passer par plusieurs étapes. Il faut réaliser en premier lieu une analyse approfondie de la filière et de ses composantes en prenant en compte son organisation et sa structure. Il faudrait également penser à étudier l'impact des différentes politiques entreprises, que ce soit en matière d'aides ou de subventions, sur l'évolution du secteur. Les autorités ont consenti beaucoup d'efforts pour remédier aux tensions qui existent sur le marché. Mais le plus important est qu'il devrait y avoir un projet pour analyser l'impact de ces efforts. Il y a aussi la mise en place de programmes d'amélioration des niveaux de production et de productivité. Au Maroc, à titre d'exemple, on travaille pour augmenter le poids de la carcasse pour améliorer la productivité pondérale et non numérique. D'autant que l'une des contraintes majeures de cette filière est qu'elle s'appuie sur l'élevage extensif. La dépendance du cheptel aux aléas climatiques induit une faible productivité.
Une analyse des coûts de production relative à chaque système de production est également nécessaire. Il faudrait aussi mettre en place un programme de suivi des marchés à bestiaux dans l'objectif de créer un observatoire des prix, qui serait un outil d'aide à la décision. L'INRAA travaille d'ailleurs à la création d'un observatoire des filières agricole, et ce, dans le cadre de la politique de renouveau agricole. Ce projet prévoit également un jumelage entre l'Algérie et l'Union européenne afin de renforcer le système d'information. L'INRAA travaille également sur le patrimoine zoogénétique, la préservation des races en voie de disparition et ensuite leur amélioration.


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