Le débat animé jeudi après-midi par El Watan sur la question « Algérie-France : la guerre des mémoires ? » a suscité, comme attendu, un intérêt considérable de la part du public, venu très nombreux assister à la rencontre. Grâce à la qualité réflexive de l'intervention de Mohammed Harbi, à la clarté de l'exposé de Gilles Manceron, à l'esprit critique de Daho Djerbal et à la rigueur méthodologique de Hassan Remaoun, le débat a été sérieux et passionnant à la fois. Les interventions des uns et des autres ont permis d'aborder les deux versants, français et algérien, de la problématique, avec liberté de ton et rigueur dans l'analyse. Parmi les questions centrales soulevées au cours de ce débat, celle du rapport schizophrénique qu'entretient l'identité algérienne à l'égard de la France méritait un traitement plus approfondi, tant il est vrai qu'elle pose en filigrane la question, inusable, de la nation algérienne. Certaines vérités, trop souvent tues par le discours officiel, ont été rappelées dans ce débat. A juste raison. Il en est ainsi des retombées catastrophiques de l'autoritarisme du régime algérien sur la recherche historique en Algérie, de l'accès interdit aux archives, des effets pervers de l'histoire officielle sur la formation des jeunes générations d'historiens et d'archivistes. Est-on fondé dans ces conditions atterrantes à vilipender la loi française du 23 février 2005 si l'on persiste dans le même temps à interdire aux historiens algériens l'accès aux archives de la guerre de Libération nationale, à imposer une histoire officielle truffée de légendes, de points aveugles et de zones d'ombre ? La « loi scélérate », tôt dénoncée par la communauté des historiens français, est offensante pour la conscience nationale algérienne forgée dans le souvenir pénible de la colonisation. Elle ne doit pas servir pour autant d'alibi pour dissimuler les lourdes carences de l'Algérie contemporaine en matière de libertés individuelles et collectives : pas plus que le droit n'a à écrire l'histoire, le politique n'a à dicter son récit à l'historien. En oscillant entre la mémoire manipulée et l'oubli de fuite, le mythe et la légende, l'historiographie officielle empêche de lever le voile sur les évènements sombres de l'histoire nationale contemporaine (assassinats, procès iniques, violence communautaire, etc.). Que peut faire l'histoire qui s'écrit pour éclairer l'histoire qui se fait ? C'est la question fondamentale que soulève le grand historien algérien Mohammed Harbi. Pour lui, « le retour sur la période coloniale n'est utile que s'il permet de mettre au clair tout ce qui, du passé, est contraire à la dignité des Algériens dans les pratiques du pouvoir ». L'on comprend dès lors mieux les enjeux de la mise sous scellés de l'histoire nationale...