Aquarante-huit heures du second tour de la présidentielle, Le Caire est dans l'incertitude. Le pays est suspendu à la décision de la Cour constitutionnelle qui devrait juger aujourd'hui une affaire d'une importance décisive sur l'avenir politique du pays. Le Caire (Egypte).De notre envoyé spécial
Elle concerne le droit du candidat Ahmed Chafik d'exercer ses droits politiques après la promulgation du Parlement, en avril dernier, d'une loi interdisant aux anciens du régime de Moubarak de participer à la vie politique. Chafik, qui était le chef du gouvernement du président déchu Moubarak, est directement visé. Et c'est suite à cette loi qu'Ahmed Shafik avait introduit un recours auprès de la Haute commission électorale qui a saisi à son tour la Cour constitutionnelle. En cas de confirmation de la haute institution judiciaire du pays de la décision du Parlement, c'est tout le processus électoral qui sera remis en cause. Un risque que les militaires au pouvoir ne souhaitent pas prendre. La rue égyptienne, elle, est partagée. «Nous faisons confiance à la justice et nous espérons qu'elle ne cédera pas devant les pressions du pouvoir politique. L'exclusion des symboles de l'ancien régime de la vie politique est une exigence de la révolution. Ahmed Chafik représente la continuité de l'ancien régime, c'est pour cela qu'il faut le bannir de la vie politique. J'espère que le juge confirmera la décision du Parlement», a souhaité Amr El Wakyl, coordinateur des Alliances des jeunes de la révolution. Des appels à manifester aujourd'hui devant le siège de la Cour constitutionnelle ont été lancés par différents mouvements de la révolution. Les Frères musulmans, dont le candidat est donné favori pour remporter la présidentielle, sont aussi divisés. Eux, qui avaient pourtant soutenu la loi votée par le Parlement. «Les Frères musulmans se sont fait piéger par cette loi. En cas de confirmation par le juge, l'élection présidentielle sera annulée alors que leur candidat est en phase de la remporter», commente le politologue de l'université du Caire, Hassan Nafaâ. Lorsque, en avril dernier, le député Issam Soultane du parti El Wassat, islamiste modéré, avait introduit un projet de loi visant à exclure de la vie politique tous ceux qui avaient occupé de hautes responsabilités durant les dix dernières années du règne de Moubarak, les Frères musulmans ont mobilisé leurs députés pour faire voter cette loi. «Dans leurs calculs, les députés des Frères musulmans voulaient faire barrage à la candidature de Omar Souleimane, l'ancien patron des services, finalement c'est un autre candidat (Chafik) qui fait la surprise en passant au seconde tour. Un sérieux candidat, mais à la portée de celui des Frères musulmans, Mohamed Morsy. Son éviction fait perdre tout à la confrérie», analyse encore Hassan Nafaâ. En somme, le juge de la Cour constitutionnelle se trouve ainsi avec deux scénarios possibles, selon des juristes. «Le juge peut rejeter le recours de Chafik introduit auprès de la commission électorale parce que cette dernière n'a pas autorité à saisir une instance judiciaire et confirmer ainsi la loi votée par le Parlement. Dans ce cas, Chafik sera disqualifié», estime le «constitutionnaliste», Yahia El Gamel. Le second scénario est que la cour peut «accepter» le recours d'Ahmed Chafik au prétexte que les membres de la commission électorale sont des juges et de ce fait ils «peuvent saisir la Cour constitutionnelle en cette qualité. Et permettre du coup à Ahmed Chafik de rester dans la course à la présidentielle», avance Yahaia El Gamel. Choix cornélien Dans le cas où le second scénario est «approuvé», le candidat du régime aura gagné une bataille symbolique au moment où les écarts se réduisent entre lui et le candidat des Frères musulmans. La campagne électorale, qui se termine officiellement aujourd'hui à minuit, a connu une «escalade verbale» entre les deux candidats. Chafik accuse son adversaire de «vouloir instaurer un Etat théocratique», dont il dit que «c'est un danger pour le pays». Son leitmotiv : «rétablir la sécurité». Il dispose de l'appui des réseaux de l'ancien régime, au sein et en dehors de l'appareil de l'Etat. Ses soutiens populaires viennent essentiellement des campagnes d'Egypte (Haute-Egypte) et d'une bonne partie des chrétiens coptes qui redoutent l'arrivée d'un islamiste au pouvoir. Morsy, lui, voit en son rival «le retour à un régime sanguinaire. Son élection exposerait le pays à un désastre», met-il en garde. Morsy, candidat par défaut après la défection de Kheiret Echatter, tente de séduire et de «rassurer» les militaires et les courants libéraux. «Je garderais le maréchal Hossein Tantatoui (actuel président du Conseil militaire) comme ministre de la Défense et je nommerais un vice-président chrétien», a-t-il promis. Il s'est assuré le soutien du Mouvement du 6 avril, du candidat malheureux, Abdelmouneim Abu El Foutuh et de Hizb El Ghad, de Aymen Nour. Pour nombre d'acteurs politiques et autres observateurs, les Egyptiens seront confrontés à un choix cornélien. «C'est la peste et le choléra», tranche le candidat malheureux Hamdine Sebahi. Arrivé en troisième position du premier tour, cet héritier de la gauche nassérienne opte pour le boycott du second tour, mais sans donner de consigne de vote à ses partisans. Il est rallié sur cette position par l'ancien directeur de l'AIEA, Mohamed El Baradei, et d'autres courants issus de la révolution. El Baradei et Sebahi se concertent pour «former un front d'opposition regroupant toutes les forces politiques qui ne se reconnaissent pas dans le choix proposé aux Egyptiens à l'occasion de l'élection présidentielle et organiser les rangs de l'opposition pour mener ensemble les prochaines batailles politiques». En somme et à deux jours du second tour de la première présidentielle «libre» depuis la chute de Hosni Moubarak, l'Egypte se débat dans une interminable confusion politique. Le processus démocratique peine à se mettre en place. La mise en place d'institutions démocratiques connaît des oscillations en tous genres. Les militaires tiendront-ils leur promesse de remettre les clés du pouvoir à une autorité civile prévue pour la fin du mois en cour ?