Le deuxième tour de la présidentielle égyptienne opposera donc le candidat des Frères musulmans, Mohammed Morsi, au général Ahmed Chafik, issu de l'ancien régime et partisan du «retour à l'ordre». Le duel entre deux représentants d'options «désagréables» s'annonce déjà très serré, enflammant une Egypte en pleine période de transition fragile. Les Frères musulmans ont déjà ouvert les hostilités, en présentant Mohammed Morsi comme l'authentique protecteur de la révolution, «seul à même d'empêcher le retour au pouvoir de l'ancien régime». «Les Egyptiens vont devoir choisir entre la révolution et le régime Moubarak», ont averti les Frères qui ont, pourtant, rejoint la révolution sur le tard. Les Frères musulmans, qui ne ratent pas une occasion de rappeler leur longue et courageuse opposition au régime de Hosni Moubarak ont, toutefois, perdu beaucoup de leur popularité au cours des derniers mois. En insistant pour présenter un candidat à la présidentielle, les Frères sont revenus sur un engagement, pris au lendemain de la chute de Moubarak, de ne pas aller au-delà d'un certain seuil. Ils sont donc apparus, avec cette volte-face, comme trahissant leur promesse. Les faibles performances de leurs députés au Parlement et leur volonté de monopoliser l'élaboration de la future Constitution, ajoutés à leur incapacité à s'entendre avec les autres forces politiques pour la création d'une commission constitutionnelle, a entamé leur crédibilité, particulièrement dans cette période d'ouverture. Les révolutionnaires, qui ont dénoncé l'implication tardive des Frères dans les manifestations de janvier 2011 contre le régime, leur reprochent, aujourd'hui, une volonté de concentrer tous les pouvoirs. De son côté, l'autre candidat au second tour n'est pas un nouveau venu. L'ancien ministre de Hosni Moubarak, arrivé en seconde position, se trouve être un ancien commandant en chef des forces aériennes. Celui qui a été accusé de corruption par l'écrivain Alaa Al-Aswani avait été nommé Premier ministre par l'ancien raïs, quelques jours après le début des manifestations de la place Tahrir. Pour beaucoup d'Egyptiens, ce personnage représente les «foulouls», les fameux résidus de l'ancien régime. Cependant, des interrogations demeurent en suspens. Comment cet ancien ministre de l'aviation civile est-il arrivé à ce résultat surprenant ? Chafik aurait joué sur les réseaux de l'ancien pouvoir, encore en place, et tablé sur l'épuisement d'une partie de la population, éprouvée par une transition jugée trop longue, ayant eu notamment des conséquences négatives sur le commerce et le tourisme. Se plaçant en candidat de la «réconciliation», Ahmed Chafik s'est adressé, durant la campagne, aux Egyptiens, notamment les jeunes qui le rejettent, dans une allusion claire, relative à la percée électorale des Frères musulmans : «Je sais que votre révolution a été volée et, si je suis élu, je m'engage à la récupérer pour vous la rendre.» Une incongruité, de la part d'une personnalité ayant fait parti d'un régime contestable. Ahmed Chafik s'est engagé à restaurer la «sécurité», la «stabilité» et l'ordre. Dans un pays éprouvé par quinze mois d'instabilité, ce discours a eu un effet certain, notamment dans les milieux d'affaires. Outre l'électorat Copte, qui aurait massivement voté pour lui, par crainte des Frères, le candidat favori de l'armée va devoir convaincre les électeurs de Amr Moussa, ainsi qu'une partie de ceux qui ont voté pour Hamdine Sabahi. L'ex-secrétaire général de la Ligue arabe a été une des grandes déceptions du premier tour du scrutin. Le candidat «nassérien», devient, lui, sur la base des résultats du premier tour, le principal porte-parole de la jeunesse révolutionnaire et un potentiel «faiseur de rois» au deuxième tour. Le candidat ne manque pas de crédibilité aux yeux des révolutionnaires, ayant joué un grand rôle dans les prémices de la révolte de 2011. Il a été un opposant de longue date et l'un des fondateurs du mouvement Kifaya, en 2004, un des rares groupements politiques à s'être opposé frontalement à un nouveau mandat pour Moubarak. Les 16 et 17 juin prochains, le second tour des élections présidentielles en Egypte s'annonce décisif. Un véritable dilemme pour les Egyptiens, acteurs d'une révolution qui a balayé Hosni Moubarak et fait bouger les lignes à l'intérieur du système. L'Egypte, en phase de transition, semble condamnée à faire avec des choix détestables, mais qui pourraient constituer le passage obligé pour l'apprentissage de la démocratie. Les acteurs de la révolution égyptienne peuvent-ils, cependant, laisser élire allégrement un membre de l'ancien système ? Cruel dilemme pour ceux qui n'ont cessé de crier «le peuple, veut, la chute du régime!» M. B.