Ils sont d'origines algérienne (2 hommes, 1 femme), marocaine, espagnole, guadeloupéenne, guyanaise, sud-coréenne et ils sont ministres ou ministres-délégués dans le gouvernement de François Hollande. C'est assurément un progrès, d'autant plus que certains d'entre eux ont un poste de première importance et particulièrement visible : Najat Vallaud-Belkacem, porte-parole du gouvernement, est une binationale d'origine marocaine. La promotion de Français qui appartiennent à la «diversité» est assurément l'expression d'un choix de gauche. Mais ce choix lui-même est la conséquence de changements qui se manifestent de plus en plus clairement dans la société française : si une partie importante de cette société pense et vit selon des critères étroitement nationalistes et bornés – il y aurait des Français «de souche», les «vrais», et des Français «de papier», d'autant plus suspects que la plupart ont deux nationalités – la fraction la plus vivante, lycéens, étudiants, jeunes cadres, voyage beaucoup, passe ses vacances au Maroc plutôt qu'en Corrèze, étudie dans des universités américaines, fait des stages à l'étranger, s'y marie, parfois s'y installe. La diversité des origines, des choix et des modes de vie ébranle de plus en plus les pesanteurs nationales et diminue singulièrement l'importance de caractéristiques qui, jusqu'à ces derniers temps, passaient pour primordiales et définissaient le citoyen français, tels le lieu de naissance, le nom et le prénom, la possession d'une seule nationalité. Cela dit, il reste encore beaucoup à faire pour qu'un Kadour Benslimane ou une Tatiana Chouchkina passent pour de «vrais» Français et que la presse, s'ils commettent un délit, ne mentionne pas leur origine. Comme si l'origine était un destin. Comme si elle recélait, quoi que fasse la personne, des capacités de nuisance. On ne précisera pas, par exemple, qu'une Lucienne Petit, qui a découpé son nouveau-né en tranches et l'a caché dans son réfrigérateur, est d'origine française. Son nom le suggère ? Soit. Mais si l'origine est tellement importante, pourquoi ne pas signaler qu'elle est d'origine bretonne ou périgourdine ? Personne n'y songe, évidemment. Mais chacun sait que le Français Mohamed Merah, auteur d'une tuerie qui, en mars 2012, a fait à Toulouse 7 morts, dont 3 enfants, est d'origine algérienne. Signaler l'origine étrangère d'une personne n'est jamais neutre. C'est le plus souvent une mention raciste, mais d'un racisme inavoué, discret, une façon de dire que «ces gens-là», même s'ils ont la nationalité française, ne sont pas tout à fait, pas vraiment français, que leurs racines sont impures ou douteuses. L'origine condamne a priori, elle exclut et rend très difficile de trouver un emploi ou un logement. Les beurs en font tous les jours l'expérience. Souligner l'origine est d'autant plus absurde que, contrairement à l'idée qu'ils ont souvent d'eux-mêmes, les Français sont d'origines très diverses : «La France fut inventée par une communauté de peuples», écrivent Hervé Le Bras et Emmanuel Todd. «Plus que toute autre nation au monde, elle est un défi vivant aux déterminations ethniques et culturelles.»(1) «Si l'on remonte à la quatrième génération, près de 45% de nos compatriotes ont une origine étrangère», dit le démographe Hervé Le Bras. En analysant le sang de Français installés dans des régions très éloignées des grands courants migratoires, des scientifiques ont trouvé, au niveau des chromosomes, des marqueurs génétiques beaucoup plus répandus dans d'autres parties du monde. Ainsi ont-ils découvert dans le sang breton des marqueurs dont la fréquence est plus grande au Maghreb qu'en France. Il se peut que Marine Le Pen ait des ancêtres arabes… Rien n'est donc plus sot et plus malsain que cette fixation obsessionnelle sur l'origine – qui n'a pas toujours existé. La valorisation de «l'identité nationale», la dévalorisation de l'étranger n'ont rien de naturel ni de spontané : la Constitution de 1793 déclare qu'«un étranger qui épouse une Française ou adopte un enfant ou nourrit un vieillard… est admis à l'exercice des droits du citoyen français». Etre Français, c'était passer un contrat avec la société politique française. On pouvait donc être à la fois de nationalité anglaise ou prussienne et de citoyenneté française. Et siéger en costume national au Parlement. L'éclaircie a peu duré et la marée noire des jugements-guillotine – «évidemment, c'est un Arabe, un Juif, un Noir» – a de nouveau pollué la mentalité d'un grand nombre de Français. Il faudra beaucoup de temps encore pour que la diversité, reconnue et honorée par le gouvernement de François Hollande, soit considérée par l'ensemble de la société française comme source d'enrichissement. Mais l'on ne peut que se réjouir que les socialistes aient donné l'exemple. 1) Pluriel (1981)