L'amplification de ce mouvement de contestation et son expression sur la place publique laissent penser que le plus vieux parti de l'opposition est bel et bien devant une crise profonde. La fronde qui secoue le FFS depuis plusieurs semaines et s'est exacerbée ces derniers jours ajoute au caractère délétère qui caractérise la scène politique nationale. Survenant à quelques mois des prochaines élections locales, le coût politique de ces événements sera énorme, notamment en Kabylie qui reste l'un des derniers remparts démocratiques dans le pays. L'éclatement de ce mouvement de contestation a surpris quelque peu l'opinion locale, qui avait plutôt mis cette fronde sur le compte des déceptions nées à la suite de la confection des listes électorales pour les dernières législatives, comme cela est survenu au sein de la quasi-totalité des formations politiques ayant participé au scrutin. L'amplification de ce mouvement de contestation et son expression sur la place publique laissent penser que le «plus vieux parti de l'opposition», selon l'expression consacrée, est bel et bien devant une crise profonde qui risque de le déstabiliser durablement. Pourtant, les véritables remises en cause devaient survenir il y a près de cinq ans, au lendemain de la déroute électorale subie lors des élections locales de novembre 2007, lorsque le FFS avait perdu des fiefs symboliques, comme Aïn El Hammam et Aït Yahia, d'où est issu le président du parti, Hocine Aït Ahmed. Le premier secrétaire, Karim Tabbou, remettait alors sa démission mais il sera maintenu à son poste par le zaïm en exil. Trois années auparavant, en septembre 2004, le FFS avait également vécu une crise feutrée dont on ne connaîtra pas les détails pendant des années. Nommé premier secrétaire du parti, Mustapha Bouhadef quittait cette fonction sans avoir pu former son équipe dirigeante. Autant d'épisodes tumultueux vécus en interne sans que l'opinion publique, les sympathisants et peut-être la majorité des militants, ne soient tenus informés des tenants et des aboutissants de ces accès de fièvre organique. Aujourd'hui, le débat est intégralement public et la population a été invitée à assister à un meeting, le 12 juillet prochain à Tizi Ouzou, à l'initiative des contestataires qui ont pris soin, pour la forme, d'inviter la direction du parti à prendre part à ce débat devant les citoyens. Par cette démarche, les frondeurs veulent tester leur propre capacité de mobilisation, une sorte de mini référendum dans l'optique non pas d'associer l'actuelle direction au débat, mais de l'isoler. Devant ce bras de fer inédit au sein de ce parti connu pour sa discipline militante légendaire, la réaction des militants et des sympathisants sera en effet déterminante pour la viabilité du mouvement de contestation. Ses animateurs doivent d'ores et déjà gérer certaines difficultés dans leur démarche, vu que le groupe compte des personnalités ayant connu la traversée du désert au moment où d'autres étaient aux commandes du parti. Aussi, un discours cohérent, loin de la langue de bois, est nécessaire en pareille circonstance, vu qu'il s'agit d'éclairer l'opinion publique et non de la dérouter. Dans la déclaration rendue publique à l'issue de la réunion tenue le week-end dernier à Tizi Ouzou, les frondeurs écrivent que «l'impasse politique consécutive au coup de force du 10 mai est totale». Or, les contestataires comptent en leur sein un député issu des élections du 10 mai, Karim Tabbou, et un candidat malheureux à ces mêmes élections, Samir Bouakouir. Aussi l'on se souvient que, en avril dernier, lorsque Ahmed Djeddai, conseiller à la direction du parti, déclarait que le FFS pouvait se retirer de la course électorale, c'est Samir Bouakouir, alors candidat, qui répondait, le lendemain, que «le FFS ira au bout de ces élections». Ce sont des questionnements qui n'échappent pas aux observateurs et qui doivent être levés par les initiateurs du mouvement de contestation. Ils ne peuvent pas compter sur des éléments de discours, usés jusqu'à la corde, qui ont fini par saturer l'opinion publique, tels que les thèmes de corruption endémique, les méfaits de la mafia politico-financière et les répressions policières qui mettent le pays au bord de l'explosion. Une position claire par rapport au rôle et l'apport de Aït Ahmed à la tête du parti n'est également pas exprimée. Une ambivalence que n'arrivent pas à «lire» les citoyens qui voudraient comprendre les termes du débat ou du conflit interne au FFS. Lorsque des sanctions avaient été prises récemment par le parti contre des dissidents, ces derniers s'attaquaient à l'actuelle direction, l'accusant d'avoir instrumentalisé la lettre d'Aït Ahmed. Hors de question de mettre en cause le président du parti. Or, la lettre adressée au secrétariat national depuis l'exil ne souffrait d'aucune ambiguïté : «Les comportements fractionnels, les chantages à la dissidence et toutes les formes de pression que des individus ou des groupes d'individus ont menés en direction du parti lors de la campagne électorale ou après doivent faire l'objet de mesures exemplaires», écrivait Aït Ahmed dix jours après les législatives du 10 mai. Deux mois après la dernière campagne électorale, marquée par le désintérêt de la population, celle-ci est de nouveau invitée à assister à un meeting pour faire le bilan d'un parcours politique de plusieurs décennies. Les citoyens espèrent que cette crise aiguë servira à rénover le discours politique et à moderniser les structures, non pas à porter le coup de grâce à l'opposition démocratique. L'espace politique tombera alors entre les mains des organisations, qui rebâtiront l'ancien système monolithique, intégralement acquis au pouvoir en place.