A l'occasion du cinquantenaire de l'indépendance de l'Algérie, l'organisation Reporters sans frontières (RSF) a décidé de «braquer les projecteurs sur la situation de la liberté d'information» dans notre pays. Si l'indépendance du pays a été arrachée en 1962, celle des médias n'est pas encore une réalité cinquante ans plus tard», souligne d'emblée le rapport spécial. RSF estime qu'être journaliste de nos jours en Algérie «est moins dangereux mais plus complexe». L'organisation de défense de la liberté de la presse estime qu'être «un journaliste indépendant aujourd'hui n'est pas chose aisée en Algérie, pays rongé par la corruption et le népotisme, où les militaires et le Département du renseignement et de la sécurité (DRS) se taillent une place de choix. A Alger, leur rédaction les protège. Loin de la capitale, la situation est tout autre, les protections sont moindres». Et d'ajouter : «Les journalistes et les directions de journaux subissent régulièrement des pressions économiques, mais également judiciaires ou encore physiques et morales. Ils font également face à des difficultés techniques en ce qui concerne la diffusion et l'impression.» Le constat établi par RSF en ce 50e anniversaire de l'indépendance est qu'il existe un pluralisme médiatique, mais que «l'indépendance est de façade». «Si l'on se contente de regarder le nombre de titres dans les kiosques de la rue Didouche à Alger, on pourrait croire à un foisonnement de la presse et donc à une réelle liberté d'expression… Mais la situation de la presse, et plus généralement des médias et de la liberté d'expression, est loin d'être mesurable à l'aune du nombre de titres dans les points de vente. Nombreuses sont les publications émanant directement d'hommes d'affaires,liés aux intérêts de l'Etat et des services de renseignement», assène RSF en se référant au rapport du rapporteur onusien sur la promotion et la protection du droit à la liberté d'opinion et d'expression. Fin de monopole théorique RSF fait remarquer par ailleurs que la fin du monopole de l'Etat sur l'audiovisuel n'est que théorique. L'ONG s'interroge ainsi sur la création des chaînes de télévision Annahar TV et Echourouk TV, en l'absence d'une loi permettant l'ouverture de chaînes privées. «On ne peut que s'interroger sur les conditions dans lesquelles elles sont parvenues à obtenir leur accréditation, même si leur ligne éditoriale, proche du pouvoir, ne laisse que peu de doute sur la réponse à cette question», indique RSF qui estime que la vigilance reste de mise. «Le risque étant que les nouvelles chaînes à capitaux privés soient à leur tour la propriété de quelques puissants hommes d'affaires, proches des milieux politiques et des forces armées. Cette initiative positive de mettre un terme au monopole de l'audiovisuel public ne doit pas se résumer à un simple effet d'annonce. Elle doit au contraire être le renforcement du pluralisme de l'information en Algérie», note le rapport. Ce dernier met aussi en relief les difficultés rencontrées par la presse algérienne en matière d'impression et de distribution : «L'Etat agit en toute liberté, décidant arbitrairement de l'impression et des diffusions des publications.» Moyen de pression L'utilisation de la publicité comme moyen de «pression sur les médias» est aussi relevée : «L'ANEP, l'Agence nationale d'édition et de publicité créée en décembre 1967 (en vigueur depuis avril 1968), décide de l'attribution de la publicité des entreprises et des services de l'administration publique. La publicité publique constitue ainsi une ressource financière non négligeable pour la presse écrite. Le renouvellement de ces encarts n'est pas sans condition.» De plus, RSF note que la publicité privée découle «bien souvent d'entreprises proches des cercles politiques du pays…». «Cette manne financière servira avant tout les journaux les plus dociles au pouvoir des militaires et du Département du renseignement et de la sécurité (DRS)», indique le rapport, en arrivant à la conclusion qu'il est facile pour l'Etat «d'asphyxier économiquement les journaux au contenu critique». Les redressements fiscaux sont une «épée de Damoclès qui peut tomber à tout moment sur les rédactions». La réforme de la loi sur l'information est jugée «décevante». «Bien que l'article 2 de la loi n°12-05 dispose que “l'information est une activité librement exercée”, il la restreint immédiatement en la soumettant au respect de douze conditions “fourre-tout” comme le respect de “l'identité nationale”, des “intérêts économiques” ou de “l'ordre public”. Cette restriction s'applique également aux médias électroniques (article 71). De nombreuses dispositions entravent de façon disproportionnée la liberté d'information comme notamment l'article 112 relatif au droit de réponse de “toute personne physique ou morale” pour les “articles portant atteinte aux valeurs nationales et à l'intérêt national”, l'article 123 sur “l'outrage aux chefs d'Etat étrangers”, ou encore l'article 119 relatif à la “publication de document portant atteinte au secret de l'enquête”», précise RSF. Cette organisation estime que «les autorités algériennes devraient s'aligner sur les standards internationaux en ce qui concerne le lancement de publications. Les restrictions en amont des publications ne sont pas tolérables». RSF note que malgré la suppression de la peine d'emprisonnement pour délit de presse, des journalistes sont poursuivis devant la justice et écopent des sanctions pénales allant de la simple amende à la prison ferme.