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«L'opposition du français et de l'arabe a cassé l'intelligentsia algérienne» Khaoula Taleb Ibrahimi dénonce la politique linguistique des cinquante dernières années
Y a-t-il encore une question de langues en Algérie ? Khaoula Taleb Ibrahimi, professeure en sciences du langage, répond «oui» sans équivoque. «Elle ne se pose plus aujourd'hui comme au lendemain de l'indépendance, tant il y a eu des avancées depuis, des reculs et même des régressions», précisait-elle samedi, au dernier jour du colloque international organisé à la salle Cosmos de Riadh El Feth par El Watan, lors d'une conférence portant sur la problématique linguistique algérienne. Mais avant de faire le bilan de cinq décennies de politique linguistique, Mme Taleb Ibrahimi n'a pas manqué d'exprimer son émotion et sa fierté quant à la célébration du cinquantenaire de l'indépendance. Une fierté visible sur sa tenue vestimentaire aux couleurs de l'Algérie. L'émotion n'empêchera pas l'intervenante de dresser un bilan sévère de toutes les politiques linguistiques menées jusque-là par le régime algérien. «Toutes les mesures linguistiques prises par le régime algérien au lendemain de l'indépendance expriment un déni de la réalité langagière algérienne», accuse-t-elle de prime abord. Phobie de la différence, idéologie de la langue nationale, écrasement de la culture populaire et de toutes les langues maternelles, stigmatisation par la politique scolaire «brouillonne» de l'Algérie, autant d'arguments avancés pour critiquer le déni de la réalité sociolinguistique complexe de l'Algérie. «Il a fallu attendre quatre décennies pour que le tamazight soit reconnu comme langue nationale», assène-t-elle d'un ton impassible. En 2002, une injustice a été réparée, «mais à quel prix ?», ajoute-t-elle. La politique d'arabisation marquée par une logique «chauvine, brouillonne et déconstruite» sera tout de suite montrée du doigt : «La sacralisation de cette langue mythique pose problème partout ailleurs.» Un régime autiste et sourd La société algérienne a vu ses terres traversées, des siècles durant, par différentes cultures. «Les traces du contact avec l'autre et avec sa langues sont encore là», précise la conférencière. Et d'ajouter : «Le français a marqué le paysage langagier algérien, mais force est de constater que cette langue est devenue étrangement algérienne.» Face aux maladresses de la politique d'arabisation, une guerre de position entre français et arabe a vu le jour ; ses conséquences sont importantes. «Nous assistons aujourd'hui à un hiatus entre le monde de la formation, globalement arabisé, et le monde professionnel et économique, indéniablement francisé, ce qui a empêché l'émergence d'une intelligentsia algérienne au service du développement du pays.» Mais la conférencière ne s'est pas arrêtée à ce constat d'échec et a néanmoins ouvert plusieurs pistes de réflexion pour réparer le malaise linguistique et identitaire qui caractérise l'Algérie d'aujourd'hui. «Le régime algérien, autiste et sourd, devrait se retourner vers ses universitaires qui ont capitalisé un certain nombre de travaux qui peuvent servir les politiques linguistiques.» «Qu'ils viennent vers nous», martèle-t-elle. L'Algérie doit cesser d'ignorer les enjeux liés à sa position géographique. «Contrairement à ce qu'indique la signification du mot 'Djazaïr', nous ne sommes pas une île, mais un pays qui appartient à l'Afrique, au Bassin méditerranéen, au Monde arabe et qui a des liens privilégiés avec la rive nord de la Méditerranée.» Si le tamazight a fini par s'imposer comme langue nationale, la reconnaissance de la diversité arabophone reste problématique, selon la conférencière. Pourtant, «la société algérienne a la capacité d'affronter ses démons et de se réconcilier avec l'autre, proche et lointain», conclut-elle.