La semaine dernière, El Watan week-end publiait des logos de graphistes sur le Cinquantenaire de l'Indépendance, la démarche s'inscrivant dans la critique de celui choisi officiellement pour cet événement considérable. Officiellement, si l'on peut dire, car le manque d'information sur le qui et le comment de ce choix justifierait plutôt l'adverbe «officieusement». C'est à croire qu'aucun responsable ne s'est vraiment préoccupé de ce qui ne constitue, certes pas une priorité nationale, mais représente quand même un symbole qui se devait d'être fort, beau, marquant et surtout significatif. Au lieu de quoi, nous avons eu ce cercle, d'ailleurs fermé, forme dominante des graphismes officiels inspirés par l'idée du sceau et du tampon administratif. Au milieu, la reproduction de l'emblème national avec, vers le bas, le chiffre 50. Sur la partie verte, deux profils en ligne des visages d'un homme et d'une femme aux nez aquilins, celui de la femme planté au cœur du croissant, leurs bouches légèrement entrouvertes sans qu'on ne sache s'il s'agit d'un début de sourire, d'un rictus ou d'une expression d'indifférence. Visages désincarnés de plus par l'absence d'yeux mais dont la direction laisse supposer un regard vers la partie blanche, à droite. Celle-ci est envahie par un patchwork d'éléments censés illustrer les réalisations de l'Algérie. On y trouve ainsi de haut en bas, un satellite, Maqam Echadid, des immeubles dont le premier à façade de verre, une canalisation avec une vanne au milieu, un tramway ou métro sur pilotis, enfin un ordinateur avec, sur l'écran, le fameux @. Les mauvaises langues – hélas pertinentes – ont aussitôt inventé une charade : le premier a été commandé, le second a été réalisé par les Canadiens, les troisièmes par les Chinois, le cinquième par les Français, les derniers par d'autres encore et le tout en noir pour figurer le pétrole qui a servi à acheter tout cela. Désolé de revenir sur ce logo au symbolisme primaire mais, après le billet de 2000 DA, il semble qu'au-delà d'un simple accident de goût, nous assistons à la naissance d'un style officiel porté sur la promotion de la médiocrité. Pourquoi donc, comme partout ailleurs ou presque, ne recourt-on pas à des concours ou à des consultations restreintes d'artistes confirmés comme cela se faisait auparavant, où l'on a vu des Racim, Issiakhem, Temmam et Ali Khodja, aux réputations établies, concevoir les billets de banque, sceaux de l'Etat, affiches officielles, etc. ? Aucun de ces dignes représentants de l'art algérien n'est aujourd'hui de ce monde, mais – et c'est là une des réalisations de l'Indépendance –, ils ont laissé assez de successeurs, dont certains de dimension internationale, pour prendre la relève. Sinon, au prochain graphisme d'importance nationale, qu'on ajoute donc un tombeau avec la mention : «Ci-git l'art algérien». Il existait à la Casbah une rue des Lotophages, inspirée de l'Odyssée. On pourra désormais en baptiser une autre du nom des Logophages.