Plusieurs familles de victimes du terrorisme se sont rassemblées, hier, devant le Palais du gouvernement, à Alger, pour crier « leur douleur et leur refus de cautionner la politique de “l'assassinat de la mémoire” ». Brandissant des portraits de leurs proches tués par les groupes islamistes armés, les manifestants, surtout des veuves et des mères éplorées, arrivaient par petits groupes au niveau du Palais du gouvernement. Sous un soleil de plomb, elles scandaient : « Kataline, dabahine radjoohoum moudjahidine » (tueurs, égorgeurs devenus des moudjahine), « AIS terroriste, Bouteflika complice ». Pris de court par l'avancée rapide des manifestants, les policiers ont fait sortir les renforts pour encercler le lieu. « Accrochez-leur des médailles pour les crimes qu'ils ont commis, mais nous serons toujours là pour défendre la mémoire de nos morts. Vous venez d'assassiner une deuxième fois nos morts en libérant leurs bourreaux. Honte à vous », a lancé en pleurs Mme Zanoun, mère de Amel, une jeune adolescente, égorgée à la fleur de l'âge, à Sidi Moussa, lors d'un faux barrage dressé par un groupe islamiste armé. Mme Zanoun enlace le portrait de sa fille et fustige les policiers qui tentent de la retenir loin de la voie des automobilistes. « Lâchez-moi, je suis en train de défendre la mémoire de vos collègues. Regardez autour de vous, toutes ces femmes sont des veuves et des mères de policiers et de militaires. Demain, ce sera vos épouses et vos mères qui rejoindront ce lieu et seront peut-être maltraitées. » Mohamed, un jeune patriote, dont le père a été assassiné, tente de la calmer. « Lorsque mon père a été tué, j'ai aidé les services de sécurité à arrêter les auteurs de l'assassinat, et aujourd'hui, ils sont dans la rue, aussi libres qu'avant. Que voulez-vous que je fasse ? J'ai sacrifié ma vie et ma famille en m'engageant dans la lutte antiterroriste et la récompense a été la grâce pour tous les criminels. De toute façon, je n'attends rien de l'Etat, j'ai mon arme et si je croise un des tueurs de mon père je n'hésiterai pas à me venger », dit-il en s'adressant aux policiers. Présidente de l'association Djazairouna des familles des victimes du terrorisme de Blida, Cherifa Keddar est, elle aussi, parmi les manifestants. Les photos de sa sœur et de son frère assassinés ne quittent pas ses mains. « Nous refusons la politique de l'oubli et du pardon. Personne n'a le droit de pardonner à part les familles des victimes. Nous viendrons tous les dimanches hanter leur conscience ici, pour qu'ils sachent que nous n'abdiquerons pas jusqu'à ce que la mémoire de nos morts soit honorée », a-t-elle déclaré. Indignation Abondant dans le même sens, Ali Merabet, président de l'Association des familles des victimes enlevées par les groupes islamistes, a dénoncé les dispositions de la charte pour la paix, lesquelles, selon lui, ne vont pas consacrer la paix « mais l'esprit de vengeance et d'impunité ». M. Merabet, dont les deux frères ont été enlevés par les terroristes à Sidi Moussa, estime que le temps est à la mobilisation de toutes les familles des victimes du terrorisme pour lutter contre l'amnésie et l'impunité imposées par Bouteflika. Les mêmes propos sont tenus par Amina Kouidri, la sœur de Nour El Houda, une petite collégienne de 12 ans, violée et assassinée dans la cour de son école à Larbâa, sous les regards de ses camarades de classe, par les hordes de Kartali, le chef terroriste. « J'ai vu plusieurs terroristes rentrer chez eux comme si de rien n'était. La fille de Kartali est à l'école où ma sœur Nour El Houda a été égorgée. Pour nous, c'est un deuxième deuil », a t-elle indiqué aux journalistes présents sur les lieux. Mme Zinou, veuve du journaliste de Liberté, assassiné à Khezrouna, wilaya de Blida, n'a pas pu contenir ses larmes. Le portrait de son défunt mari est hissé très haut. Elle ne cesse de crier : « Les familles des victimes n'acceptent pas la trahison. Elles refusent le compromis et l'oubli. » Plus loin, adossée à un mur, une vieille femme, mère d'un policier assassiné à La Casbah, pleure à chaudes larmes. La vue d'anciens collègues de son fils a été très dure pour elle. « Les tueurs de votre collègue ont été libérés cette semaine. Les youyous lancés durant toute la nuit par leurs familles ont été une torture pour moi. Je les ai vus distribuer le couscous aux voisins. J'avais envie de prendre une butane à gaz et de la faire exploser devant leur maison. Mon fils ne me reviendra jamais. Il est mort pour rien. Il m'a laissé une petite fille qui ne l'a jamais connu. Que vais-je lui dire demain lorsqu'elle me demandera pourquoi son père a été tué ? Vous êtes ses collègues, pourquoi acceptez-vous cette trahison ? », ne cesse-t-elle de lancer aux policiers en faction. D'autres veuves et des mères meurtries par la douleur tentent de forcer le cordon de sécurité qui entoure l'entrée du Palais du gouvernement. Elles sont violemment bousculées par les policiers, dont le nombre ne cesse d'augmenter. La circulation automobile est sérieusement gênée. Des ministres comme Belkhadem, puis le chef du gouvernement, quittent le palais furtivement dans leurs luxueux véhicules sous l'œil bienveillant des policiers qui leur organisent discrètement la sortie du périmètre de la manifestation. Plus de deux heures après le début du rassemblement, les manifestants ont décidé de libérer les lieux en se donnant rendez-vous pour dimanche prochain et aussi chaque dimanche pour crier leur révolte face à la politique de « l'oubli et de la trahison de la mémoire ».