Témoignage poignant sur la chaîne Ennahar TV de Malika Matoub, sœur du chantre de la musique berbère, Matoub Lounès, assassiné le 25 juin 1998 en Kabylie. Quatorze ans après la disparition de son unique frère, elle attend toujours, a-t-elle avoué, d'être convoquée par la justice pour être entendue en dépit des documents transmis au juge, dont une liste de 52 témoins que le magistrat n'a pas jugé nécessaire d'entendre également. Pas de reconstitution des faits, pas d'enquête balistique, le véhicule criblé de balles (77 impacts) n'a pas quitté la maison familiale où il est devenu une pièce de musée pour les fans du chanteur. De guerre lasse, ne voyant rien venir du côté de la justice algérienne, la sœur du chanteur a admis avoir loué les services d'un détective privé pour enquêter sur l'assassinat de son frère. «J'épuiserai tous les moyens de recours nationaux pour faire rouvrir le dossier, mais si on m'en empêche, je n'hésiterai pas à porter le dossier devant les juridictions internationales», a-t-elle menacé. Ce genre de dossiers couverts de poussière et déclarés classés sans jamais avoir été ouverts ou vite fermés à l'issue de procès que les parties civiles ont dénoncés comme des parodies de justice vont sans doute faire les choux gras des nouvelles chaînes de télévision privées. En termes d'impact sur l'opinion publique, une intervention sur un plateau de télévision peut faire des ravages. Le succès médiatique rencontré par ce genre de «contre-enquête» devrait encourager ses animateurs pour maintenir le cap en tirant des tiroirs d'autres dossiers d'assassinat de hautes personnalités, à l'image des procès de l'ancien président Mohamed Boudiaf, de Kasdi Merbah, Boucebci, Belkaïd, Liabes et tant d'autres encore dont les familles n'ont toujours pas fait le deuil et réclament jusqu'à aujourd'hui vérité et justice. A condition, bien sûr, que ces espaces de débat public, qui s'ouvrent avec fracas à la faveur du nouveau champ audiovisuel, ne soient pas remis en cause et brisés par le pouvoir qui ne devrait certainement pas voir d'un bon œil cette justice parallèle, ces tribunaux populaires qui se mettent en place à côté (contre) du pouvoir judiciaire institutionnel. Lorsque le peuple ne se reconnaît pas dans ses gouvernants, le jury populaire, à savoir les téléspectateurs et l'opinion publique de manière générale, ont naturellement tendance à croire les parties civiles, les victimes, que la version officielle. Des faits d'histoire sont également déclassifiés dans la foulée de ces débats (déballage ?) très suivis par les téléspectateurs comme l'intervention, toujours sur la même chaîne de TV, de Nourredine Aït Hamouda, fils de l'ancien chef militaire de la Wilaya III, le colonel Amirouche. D'autres dossiers de la même veine tels que la mort de Abane Ramdane, Krim Belkacem et bien d'autres affaires classées pourraient s'inviter dans ces tribunes. Mis au pied du mur, placé dans une inconfortable position d'accusé, le pouvoir n'a d'autre choix que de fermer cette lucarne séditieuse ou de suivre, forcé, ce mouvement de l'histoire tout en essayant de le contrôler pour ne pas être submergé par la vague.