Moi, je m'arrange pour ne pas veiller. Je dors tôt, je me réveille à 5h. Je prépare ma chorba en plus du déjeuner de mes deux petites filles. Je les prépare pour les emmener à la nourrice. Je sors de chez moi à 6h30 pour arriver au boulot vers 8h30. A 16h, je sors de mon bureau. J'arrive chez moi à 18h.» Telles sont les corvées auxquelles s'adonne quotidiennement la femme active algérienne pendant ce mois de jeûne. A peine la première quinzaine du Ramadhan achevée, les femmes algériennes sont déjà exténuées. Pour la préparation du f'tour, celles-ci passent au moins trois heures de leur journée à cuisiner. «On n'a pas le droit au repos. Pendant la journée, ce sont les tâches ménagères quotidiennes. Et à partir de 16h, c'est la préparation du f'tour», déclare une ménagère accostée rue Hassiba Ben Bouali, à Alger, le visage émacié sous l'effet de l'épuisement. «En plus, on est obligées de satisfaire les caprices des enfants et du mari», a-t-elle ajouté. Pour les femmes actives, c'est une véritable corvée qui revient chaque mois de Ramadhan. Elles sont confrontées à un double défi : s'acquitter à la fois des tâches professionnelles et domestiques. «Personnellement, je me lève à 3h du matin pour préparer le s'hor. Je me remets au lit jusqu'à 8h pour rejoindre mon boulot à 9h et sortir à 14h. A ce moment-là, je me dirige directement vers le marché pour faire quelques courses car j'ai toujours quelque chose à acheter à la dernière minute. Dès que je rentre chez moi et je commence à préparer le f'tour. Disons que je passe à peu près deux heures dans ma cuisine depuis mon retour à la maison jusqu'au moment du f'tour. Alors après cela, je suis KO. Je me mets au lit jusqu'au s'hor. Malgré l'aide de ma fille, c'est hyper-chargé pour moi. Je suis hyper-crevée chaque soir. Il faut prendre en compte les problèmes de santé. On n'a pas le droit d'être malade en ce mois. Si on a de petits problèmes de santé, il faut les supporter. Moi, par exemple, j'ai un problème d'arthrose au genou, donc je prends du Voltarène chaque nuit pour pouvoir tenir le coup», nous confie une autre femme, médecin, rencontrée au marché Réda Houhou, à Alger. Manifestement, les charges auxquelles font face les ménagères dépassent l'entendement. C'est par moments carrément une pénitence. Entre travail, marché et maison, ces dernières se retrouvent tous les jours entre deux feux. Pressée, préoccupée, fatiguée, le visage pâle et le sac à la main, tel sont les caractéristiques de ces femmes qui n'ont pas hésité à nous révéler leur détresse. Les comportements évoluent «C'est vraiment surchargé pour nous, les femmes. On doit faire le ménage, s'occuper des enfants, faire le marché et préparer le f'tour et le s'hor. Et suivant les rituels du mois sacré, on invite souvent nos proches et nos amis pour le f'tour ou du moins pour la sahra. Et là, on est obligés de redoubler d'efforts.» Certaines d'entre elles n'hésitent plus à se mettre en congé pendant ce mois sacré, histoire de se débarrasser d'un des fardeaux. «Chaque année, je prends mon congé pendant le mois de Ramadhan pour pouvoir surmonter la surcharge. Mais c'est fatiguant quand même», affirme l'une d'elles, le corps exténué, le cœur chargé. Pour les patronnes, la corvée s'avère moins pénible, à l'image de cette gérante d'une entreprise qui déclare avoir trouvé la solution magique. «Je me suis très bien retrouvée en ce mois de Ramadhan. Je termine mon travail à 15h30. Le temps de faire quelques courses, je rentre illico presto préparer mon f'tour. La nuit je ne veille pas pour pouvoir être en forme le lendemain.» L'autre facette de cette problématique consiste à décrypter le comportement des époux face aux corvées dans lesquelles s'enlisent leurs femmes. Pour ce père de quatre filles rencontré à la place du 1er Mai, à Alger, «les hommes algériens aiment aider leurs femmes mais ils ont toujours peur du regard des autres». Pour lui, il s'agit donc d'un simple handicap culturel et sociétal. Ce retraité au sourire omniprésent nous raconte avec enthousiasme son écœurement de ce genre de phénomènes sociétaux en faisant remarquer que la plupart des Algériens sont subjugués par une espèce de machisme. «Mais ces derniers temps, ça commence à évoluer dans le bon sens. Dans mon entourage, les hommes n'hésitent pas à aider leurs femmes que ce soit pour la vaisselle, la cuisine ou autres. J'en ai vu même certains changer les couches à leur bébé…» Mais dans le fond, la reconnaissance est souvent sur les lèvres. Bon nombre d'hommes rencontrés dans les rues d'Alger nous ont avoué leur reconnaissance pour leurs femmes qui subissent cette double fonction qu'impose ce mois sacré. Nombreux aussi sont ceux qui ont décidé de partager la tâche. «Moi, personnellement, j'aime aider ma femme et je le fais quotidiennement», reconnaît Mohamed, un jeune fonctionnaire. Ces difficultés auxquelles sont confrontées les femmes sont souvent de nature à influer négativement sur la productivité en milieu professionnel, mais aussi sur leur propre santé.