Désigné vendredi dernier envoyé spécial des Nations unies pour la Syrie, l'ancien ministre algérien des Affaires étrangères, Lakhdar Brahimi, s'apprête à entamer sa mission. Et surtout se donner une certaine marge de manœuvre propre au travail de médiation, c'est-à-dire se mettre à l'abri des pressions, même si ses opinions sont connues. Quelques déclarations et quelques contacts avant le travail de terrain. Il dispose encore de quelques jours pour élaborer sa propre feuille de route, sans chercher à mettre la charrue avant les bœufs. «C'est la mission qui commande l'organisation» et pas le contraire, tient-il à faire savoir, comme pour bien marquer ses attributions, et surtout ne pas se faire imposer quoi que ce soit. Quant à la mission proprement dite, il ne trouve pas de mots suffisamment forts pour la qualifier. D'autres, avant lui, ont même parlé de mission impossible. Et pourtant, il a donné son accord et, surtout, il succède à l'ancien secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, qui a préféré abandonner, mais, assure M. Brahimi, «la démission de Kofi Annan est un acte éminemment politique, il a lancé un cri en faveur du peuple syrien». Effectivement, il a alerté l'opinion internationale, mis en relief les divisions au sein du Conseil de sécurité et la militarisation de la crise syrienne. «Une guerre civile est la forme de conflit la plus cruelle», déclarera alors M. Brahimi qui se fait, quant à lui, une raison : «Il y a eu tellement de souffrance et tellement d'injustice. C'est ce qui m'a fait réfléchir.» Et puis une déclaration sous forme d'aveu : «Il a fallu consulter beaucoup de monde, à commencer par ma famille.» Il n'a pas manqué d'en tirer la conclusion : «La tâche est tellement compliquée.» C'est là justement qu'apparaît, dans toute sa froideur, la quadrature du cercle dans lequel le chef de l'Etat syrien, Bachar Al Assad, se retrouve enfermé sans qu'il lui soit possible d'en sortir. Et là, les questions sont d'une tout autre nature : qui l'y a poussé et qui l'empêche d'en sortir, à supposer, bien entendu, qu'il ait eu réellement accepté le principe d'une transition, et donc de son départ du pouvoir ? C'est d'ailleurs ce que stipule le plan Annan accepté, par ailleurs, par l'ensemble des membres du Conseil de sécurité. C'est bien la question à laquelle M. Brahimi doit trouver les réponses, sa mission en dépend. Peut-être alors soulèvera-t-il d'autres questions liées aux éléments de réponses auxquels il accèdera. Malgré l'urgence, il faut bien un commencement et lui préfère aller de loin. Il ne craint pas non plus les mots. «Il ne s'agit plus d'éviter la guerre civile, la Syrie y est déjà et pleinement, il s'agit au contraire de savoir comment en sortir.» Une analyse contestée par Damas pour qui il ne s'agit en aucun cas d'une guerre civile. La solution passe alors par le dialogue «entre tout le monde et avec tout le monde», ce qui fait beaucoup de monde au regard des accusations qu'échangent pouvoir et opposition syriens. Et celle-ci d'accuser M. Brahimi de ne pas évoquer le départ de Bachar Al Assad. «Ce n'est pas le moment d'en parler», avait-il dit, et ces propos avaient été mal interprétés. Un parcours bien délicat, et la France, qui préside le Conseil de sécurité jusqu'à la fin de ce mois, a fait savoir que toute solution politique passait par le départ de Bachar Al Assad. Un point de vue partagé par Washington. Un préalable, ou même le seul préalable, susceptible de rendre difficile le travail de médiation. M. Brahimi, quant à lui, en fixait un autre, ou plutôt l'urgence de mettre fin aux combats et à cette guerre civile. De telles contradictions ne sont-elles pas susceptibles de condamner la mission du nouvel émissaire ? Déjà broyée par de trop fortes contradictions, la Syrie est prise comme dans un étau. L'effet est déjà visible. C'est celui d'une Syrie en ruine.