Dans le cadre d'un projet de renforcement du service public audiovisuel dans les pays du Maghreb et du Machrek, chapeauté par l'institut Panos à Paris (organisation non gouvernementale), la Ligue algérienne de défense des droits de l'homme (LADDH) a effectué une étude sur le cas de la Télévision nationale. «Le paysage médiatique algérien est en pleine mutation. De nombreux signes nous confortent aujourd'hui dans l'urgence d'une réforme en profondeur de l'audiovisuel public algérien.» Cette introduction de l'étude effectuée par l'enseignant et spécialiste des médias, Belkacem Mostefaoui, et le vice-président de la LADDH, Abdelmoumène Khelil, plante le constat de décalage entre l'audiovisuel tel que pratiqué ailleurs avec celui qui est offert aux téléspectateurs algériens. «Les citoyens algériens qui contribuent au financement des deux chaînes nationales expriment de plus en plus ouvertement leurs frustrations face à la politique de programmation. Aujourd'hui, elles se traduisent par des manifestations sporadiques en faveur d'une télévision en phase avec les attentes du public : sit-in devant la télévision; création de blog et sites web satiriques», indiquent les auteurs de cette étude, première du genre en Algérie. S'interrogeant à la fois sur le cadre réglementaire régissant la notion de service public en Algérie ainsi que sur le contenu des programmes de l'ENTV face aux attentes des téléspectateurs, l'étude en question arrive à l'affirmation que «depuis l'indépendance de l'Algérie, l'offre télévisuelle algérienne est restée quasiment immuable». Soulignant qu'il n'existe pas en Algérie d'autorité de régulation indépendante, l'étude note que la mission de service public est loin d'être une priorité dans les programmes de l'ENTV. MM. Mostefaoui et Khelil remarquent que les principes de service public sont carrément laminés, on est face à une télévision d'Etat et non pas publique. «En même temps que s'est faite plus forte la tentation de gonfler les flux de recettes propres dans une conjoncture faste, le poids des missions de service public (école et creuset audiovisuel de l'identité de la nation) dont elle est chargée officiellement s'est présenté en contraintes difficiles à éliminer rapidement. Les mécanismes de sa logique de programmation fondés sur l'apparat d'un outil de souveraineté nationale propagandiste l'astreignent aussi au respect des servitudes de télévision d'Etat», précise le rapport présenté par l'enquête. Il est aussi expliqué que «les charges du triptyque de missions imparties à sa naissance – informer, éduquer et distraire – se sont révélées autant de défis lourds à affronter. C'est dire à quel point le statut hybride lui interdit de foncer trop vite dans les habits d'une chaîne clairement commerciale». Citant un rapport d'audit interne confidentiel réalisé en 2004, l'étude fait état de nombreux écueils subis par la télévision. «Lourdeur bureaucratique et fonctionnement à coûts croissants des appareils existants, corporatisme et résistance au changement des personnels, vulnérabilité à la compétition extérieure, intrusion permanente du politique, impossibilité de protéger un quelconque monopole d'émission face au progrès technologique (satellite notamment) qui facilite la diffusion des ondes» sont autant d'obstacles cités dans ledit rapport confidentiel. Ce dernier indique encore que «la logique administrative dans laquelle est confinée la télévision algérienne ne permet pas de mettre en ‘négociation' la volonté des professionnels et des dirigeants de la télévision de rechercher toujours une production de programmes performants tant du point de vue de la quantité que de la qualité et de la diversité, et les argentiers de l'Etat qui se trouvent en l'état actuel des choses le plus grand pourvoyeur en ressources financières, lesquels soumettent l'ENTV à la toise budgétaire commune et ne se rendent pas compte qu'ils l'étouffent financièrement». L'étude effectuée par la LADDH estime que «les métiers mêmes de la télévision, fondamentalement artistiques sinon de création, y compris le façonnage de la grille elle-même, relèvent d'une alchimie au quotidien impossible à réaliser dans de telles conditions». Se basant sur un document interne à l'ENTV, l'étude note que le poids relatif des recettes publicitaires sur l'ensemble des ressources de la télévision s'est accru depuis 1991. «En 1991, dans la structure des ressources financières de l'entreprise, on a enregistré 6% de publicité ; 21% de redevance (prélevée sur factures d'électricité des ménages) et 73% de subvention de l'Etat. De la même source, on peut tracer cette évolution : en 2002 la tendance au recours à la cagnotte de publicité se confirme et représente pas moins de 46% de la structure… A la différence de la Tunisie et du Maroc, les entreprises internationales, produisant des biens et des services de grande consommation sont moins implantées en Algérie à cause de l'insécurité qui y règne. Cependant, la tendance en cours est à l'augmentation des budgets publicitaires de ces firmes, à tel point qu'en 2006, la publicité – dont les annonceurs sont essentiellement étrangers – représente près de 50% des ressources de la télévision algérienne.» L'étude, réalisée en 2010 et rendue publique récemment, montre que «près de deux décennies après l'adoption de la loi de 1990, l'Office algérien de télévision demeure, dans sa programmation, propagandiste et ses ressources sont soumises au poids des règles de marchandisation. De fait, l'entreprise d'Etat est comme ‘libérée' des charges de service public».