Le nouveau régime égyptien cherche à mettre la presse au pas. Les Frères musulmans, nouveaux maîtres du Caire, sont-ils sur les traces de l'ancien rais déchu ? Deux journalistes sont sous la menace d'emprisonnement. Le rédacteur en chef du quotidien indépendant Dostour (Constitution), Islam Afifi, a été placé en détention préventive. Il est poursuivi pour «incitation au chaos et diffusion de fausses nouvelles de nature à déstabiliser l'Egypte». Un juge du tribunal pénal du Caire lui avait notifié également l'interdiction de quitter le territoire. Tollé général au Caire. Cette première attaque contre la presse depuis la chute du clan Moubarak rappelle les vieux réflexes de l'ordre ancien. Elle a suscité l'indignation et la colère des milieux politiques et intellectuels égyptiens. Des journalistes, intellectuels et hommes de lettres ont organisé un rassemblement au Caire, jeudi, pour dénoncer «les tentatives du nouveau régime de museler la presse». Reporters sans frontières a exprimé «sa plus vive inquiétude sur les restrictions de la liberté de la presse en Egypte» après cette mise en détention préventive. Le département d'Etat s'est dit également «très inquiet des restrictions à la liberté de la presse en Egypte». Les organisations des droits de l'homme en Egypte dénoncent «une grave dérive du nouveau pouvoir». Pour le président du Réseau arabe d'information sur les droits de l'homme, Djamail Aid, «le Président doit promulguer rapidement une loi interdisant l'emprisonnement de journalistes pour délit de presse». Son organisation a recensé 16 cas d'atteinte à la liberté d'opinion et d'expression ces deux dernières semaines. Le rédacteur en chef de Dostour est le premier journaliste égyptien à avoir été placé en détention préventive selon l'article 179 du code pénal. Une mesure qui date du temps de Moubarak. Le journal Dostour, qui appartient à Sayed Badwi, patron du parti du Wafd, est connu pour son hostilité envers les Frères musulmans. Avant l'élection présidentielle, il avait fait campagne contre le candidat des Frères musulmans, Mohamed Morsi, devenu président. Le journal n'a pas cessé de critiquer ouvertement le président élu, ce qui lui a valu des attaques de la confrérie des Frères musulmans. Se trouvant dans l'embarras, le président Morsi a vite réagi à la détention du journaliste Islam Afifi. Il a annulé, jeudi, la détention préventive des journalistes en promulguant un décret présidentiel abrogeant «les dispositions pénales permettant la détention préventive durant un procès pour les délits de presse». Cependant, la peine d'emprisonnement reste de mise. Le rédacteur en chef de Dostour sera déféré devant le tribunal et son procès aura lieu le 16 septembre. Comme au temps de Moubarak… Ces attaques contre la liberté de la presse rappellent étrangement celles connues sous le règne de l'ancien raïs, renversé par une insurrection populaire. Islam Afifi n'est pas le seul journaliste à être dans le viseur du nouveau régime du Caire. Le patron de la chaîne de télévision privée El Faraïn (les pharaons), Tawfik Oukacha, connu pour son soutien au candidat malheureux à la présidentielle, Ahmed Shafik, est visé par une interdiction de quitter le territoire et sa chaîne est suspendue pour une durée d'un mois. Il est accusé d'«incitation au meurtre du président Morsi». Journaliste très controversé, Tawfik Oukacha a fait de sa chaîne une tribune anti-Morsi. Il sera jugé le 1er septembre. Le directeur de rédaction de l'hebdomadaire El Fadjr, Khaled Hanafi, a été également poursuivi pour diffamation suite à une plainte déposée par le guide suprême des Frères musulmans, Mohamed Badei. Le journaliste, dont la publication avait révélé l'existence de «liens entre les dirigeants de la confrérie et les Américains», a été relâché hier. Avant ces affaires, Abdelhalim Kendil, journaliste, figure emblématique de l'opposition au régime Moubarak et cofondateur du mouvement Kifaya, a fait l'objet d'un lynchage médiatique orchestré par les militants des Frères musulmans. Abdelhalim Kendil, rédacteur en chef de Sawt El Ouma (voix de la nation), proche de la gauche nassérienne, est sous la menace d'accusations d'«atteinte au chef de l'Etat». Des plaintes ont été déposées contre lui. Pour rappel, Abdelhalim Kendil a été l'un des précurseurs de la révolution égyptienne. Il a été le premier journaliste égyptien à s'être opposé publiquement à une succession dynastique. Ses articles de presse lui ont valu un enlèvement par les moukhabarate. Ils l'ont laissé nu sur le chemin du désert. Une «humiliation» qui l'a poussé à se radicaliser davantage contre le régime Moubarak. «Le cruel régime de Moubarak n'a pas eu raison de Kendil et ce ne sont sans doute pas les intimidations d'un quelconque parti qui vont faire taire ce vaillant résistant», a écrit un éditorialiste du quotidien cairote El Shorouk. Par ailleurs, pour mettre les médias publics sous la coupe de la confrérie, le président Morsi a fait récemment le ménage dans la presse écrite et audiovisuelle gouvernementale : il a fait nommer par l'Assemblée consultative (chambre haute du Parlement), dominée par les islamistes, pas moins de 50 nouveaux patrons des médias publics en «délogeant» ceux qui lui étaient hostiles. En traînant les journalistes devant les tribunaux, le pouvoir des Frères musulmans affiche clairement ses velléités de maintenir en l'état des lois liberticides contre lesquelles les Egyptiens se sont soulevés, le 25 janvier 2011.