La charte pour la paix et la réconciliation est-elle frappée de nullité et inapplicable sur le terrain dans certaines de ses dispositions ? Ce sentiment est de plus en plus partagé aujourd'hui dans la société, quelques jours après la promulgation de l'ordonnance en question. L'interdit de toute activité politique imposé dans le cadre des dispositions de la charte aux responsables du Fis dissous ayant instrumentalisé la religion durant la décennie rouge ne semble pas faire l'objet de la même grille de lecture du côté du pouvoir et des anciens dirigeants du parti islamiste dissous. Alors que pour les responsables de l'Etat qui se sont exprimés sur le sujet ne cessent de rappeler les règles du jeu établies par la charte pour l'exercice de l'activité politique, comme l'a fait encore dimanche le ministre de l'Intérieur, Yazid Zerhouni, les anciens dirigeants du parti dissous répètent à qui ne veut pas les entendre qu'ils jouissent de tous leurs droits civiques et politiques et que cette disposition ne les concerne pas. Qui croire ? L'absence de réaction des pouvoirs publics face à l'activisme de certains dirigeants du parti dissous qui occupent la scène politique par des déclarations tous azimuts dans les médias a complètement brouillé les cartes au point où l'on ne sait plus qui est dans la légalité et qui ne l'est pas. En l'absence d'ouverture de procès en bonne et due forme, comme le réclament les partisans de la vérité sur cette page sombre de l'histoire du pays qualifiée prosaïquement de « tragédie nationale », il apparaît juridiquement difficile de qualifier un acte qui ne soit pas passé par la justice et de condamner son auteur pour un délit sur lequel la justice ne s'est pas prononcée. Même si les faits sont têtus, comment prouver en effet que tel dirigeant du parti dissous est coupable ou non d'instrumentalisation de la religion et tombe de ce fait sous le coup de l'interdit d'activité politique prévu par l'ordonnance portant charte pour la paix et la réconciliation nationale ou n'est pas concerné par les dispositions de ce texte ? C'est cette porte à peine entrebâillée que Ali Benhadj avait voulu enfoncer en cherchant à répondre à un commentaire de notre journal qu'il trouvait diffamatoire parce que le qualifiant de principal commanditaire des milliers de victimes du terrorisme. Les dirigeants du parti dissous ont beau jeu de nier et de rejeter en bloc leur responsabilité dans les drames vécus par notre pays d'autant qu'ils ont été absous par la charte pour la paix et la réconciliation nationale. Autant lors des précédents procès les chefs d'inculpation retenus contre les anciens dirigeants de ce parti étaient clairement notifiés et les condamnations dûment rendues par la justice autant les sentences qui frappent ces derniers dans le cadre de la charte pour la paix et la réconciliation s'apparentent plutôt à des déclarations politiques, à une forme d'exclusion politique qui n'est soutenue par aucun fondement judiciaire. Les limites juridiques de l'application de la charte risquent de stériliser ce texte et de le vider de sa substance. C'est sans doute pour rattraper le coup que l'idée d'une ordonnance complémentaire bis fait son chemin.