Cela va aggraver les déchirures », commente M. Zehouane, président de la Ligue des droits de l'homme (LADDH). Parce que le texte « est la conséquence pratique de la charte, avec possibilité de déclencher à nouveau une guerre civile », la ligue, par la voix de son président, n'en dira pas plus. « Nous avons décidé de nous réunir très prochainement pour décortiquer le texte », explique M. Zehouane. La Ligue des droits de l'homme promet cependant une déclaration publique après avis de l'ensemble de ses membres. Me Miloud Brahimi a pris connaissance du texte ce matin même. « Tous les points contenus dans la charte sont explicités et le texte est annonciateur de l'ordonnance présidentielle. » Le plus important pour le juriste sont les dispositions relatives aux personnes détenues, en fuite ou qui se sont rendues. C'est l'intérêt même de la charte et ce pourquoi elle a été votée. Miloud Brahimi relève également que le sort des familles des disparus est définitivement réglé. « D'une part on leur accorde un statut. Il y a donc une réhabilitation évidente de la part des autorités. Mais également une proposition d'indemnisation », relève l'avocat. De même, l'équilibre est maintenu par les dispositions relatives aux patriotes et aux militaires puisqu'à l'instar des personnes graciées, ils ne seront pas susceptibles de poursuites judiciaires. « J'ose espérer que l'ordonnance englobe dans la notion de patriotes les journalistes qui ont payé un lourd tribut lors de la tragédie nationale », appuie Miloud Brahimi. La disposition selon laquelle « le président de la République peut à tout moment prendre toutes autres mesures requises pour la mise en œuvre de la charte pour la paix et la réconciliation nationale » n'est qu'une formalité pour le juriste. « Ces pouvoirs fortement étendus étaient initialement prévus dans la charte pour laquelle le peuple a voté », précise Miloud Brahimi. Le tout semble avoir été bien ficelé « sans omission », soutient le juriste, mais acquiescera sur une contradiction entre deux dispositions du texte. En effet, dans les mesures venant consolider la réconciliation nationale, il est stipulé dans le paragraphe ii « abrogées les mesures de privation de droit pour les personnes qui en sont encore frappées ». Ainsi, les personnes qui, suite à la concorde civile, étaient frappées d'incapacité civile et civique recouvrent l'ensemble de leurs droits à compter de la promulgation de l'ordonnance présidentielle. Dans le but d'asseoir définitivement la réconciliation entre les Algériens, selon les termes employés dans les textes. Le paragraphe ii ne précise pas de quels droits il s'agit. Celui d'être éligible ? Le droit de vote ? Pourtant dans un autre paragraphe qui tend, de son côté, à éviter un nouveau dérapage tel que la tragédie nationale, des mesures restrictives sont énoncées telles que l'interdiction « d'activité politique sous quelque forme que ce soit pour toute personne responsable de l'instrumentalisation de la religion ayant conduit à la tragédie nationale ». Sont directement concernés les dirigeants du parti politique dissous : le FIS. Mais cette disposition concerne-t-elle les principaux dirigeants du parti ou tous ses membres ? Un équilibre difficile à maintenir lorsqu'il s'agit dans un temps d'absoudre des crimes et dans un autre d'éviter de reproduire les mêmes erreurs. « Il faut s'attendre à des milliers de libérations », commente Miloud Brahimi. Les balises sont posées pour accueillir dans un contexte favorable ces milliers de libérations, telle la réintégration dans le monde du travail, stipulé dans le paragraphe 2. Des balises juridiques, certes. L'accueil social est l'affaire de la population. Population victime et population témoin. Est-elle prête ?