Décidément, la rentrée artistique de septembre 2012 est loin de sonner creux pour lui l En effet, Mohamed Fellag est à la fois à l'affiche au cinéma dans deux films et au théâtre du Rond Point, où, deux mois durant, il joue un one man show au titre évocateur, Petits chocs des civilisations. Paris De notre correspondant Depuis 1995, date de son arrivée en France – évoquée dans un tableau hilarant au théâtre – Fellag a fait son trou dans la sphère culturelle francophone. Certes, il y a sacrifié beaucoup en termes de langues du terroir algérien (l'arabe et le kabyle), mais il y a gagné un statut de comédien, d'humoriste et surtout d'auteur à l'imagination fertile et au sens de l'observation toujours en éveil, comme le démontre avec éclat ses Petits chocs des civilisations auquel le public parisien réserve un accueil aux allures de plébiscite. Dans le film québécois Monsieur Lazhar de Philippe Falardeau, d'après la pièce d'Evelyne de la Chenelière, Fellag (Bachir Lazhar) est un immigré algérien qui remplace au pied levé une enseignante du primaire disparue brutalement. D'où un traumatisme pour les élèves et un choc culturel pour l'exilé algérien, personnage central de l'intrigue auquel Fellag apporte toute son expérience pour exprimer un autre traumatisme vécu par M. Lazhar, à la suite de la disparition de sa famille en Algérie durant la décennie noire. Fellag est désormais un acteur capable d'interpréter différentes facettes de son talent, jusqu'à incarner des personnages très dissemblables. Dans le film d'Alexandre Arcady d'après le livre de Yasmina Khadra, Ce que le jour doit à la nuit (voir El Watan du 8 septembre 2012), Mohamed Fellag endosse le costume de l'oncle pharmacien (Mohamed Mahiedine), époux d'une Française et militant du PPA, qui va recueillir le jeune Younès/Jonas et lui transmettre un canevas de valeurs dans lequel prime un humanisme qui habite tout son personnage d'Algérien à la fois imprégné de culture française mais nationaliste résolu. Mais revenons à ces «petits chocs des civilisations», un thème cher à Fellag qui n'a pas son pareil pour mettre en scène les différences culturelles, même et surtout si elles se réfèrent à la gastronomie. Coiffé d'une haute toque blanche, affublé d'un tablier rouge, Fellag se mue en cuisinier le temps d'un spectacle de 1h30 qui épouse la durée d'un couscous qu'il va faire mijoter et aurait même pu nous faire déguster à la conclusion de son «cooking show». Le point de départ – et Fellag nous le narre avec force détails – c'est la découverte à la «une» d'un quotidien français que le couscous est devenu le plat favori des Français, détrônant le vieux steak frites, bœuf bourguignon et autre blanquette de veau. La nouvelle constitue un prétexte tout trouvé pour évoquer les rapports franco-arabes dans la société française. «Les Français aimeraient-ils leurs Arabes ?» devient l'interrogation à partir de laquelle Fellag va «délirer» avec force calembours, situations cocasses et anecdotes frappées du sceau inévitable de l'humour version Fellag. Les rires du public conquis scandent chaque détour de phrase, chaque «chute» dont Fellag maîtrise parfaitement la métrique. L'ouverture à la préparation culinaire nous plonge au cœur des rapports franco-arabes : 1995, Fellag arrive à Marseille avec pour tout bagage une valise inquiétante en ces temps troublés de terrorisme islamiste. Une faim irrépressible va se conclure au commissariat après qu'une course effrénée vers le wagon-restaurant ait réveillé la surveillance des voyageurs vaccinés au plan Vigipirate… La suite du «one man show» est à l'avenant, Fellag sait habiller d'un humour salutaire des propos à même de désamorcer des peurs ancestrales qui pourraient remonter… jusqu'aux croisades ! Ne dit-il pas lui-même que la comédie naît de la peur ? Il nous administre la preuve par le rire, tantôt franc, tantôt grinçant quand il appuie là où ça fait mal. Revenons au couscous proprement dit, lequel sait convoquer convivialité et partage. Au-delà des arômes «quelle que soit la couleur de leur peau, les légumes de toutes saisons peuvent se fondre dans la masse des autres légumes et s'intégrer sans perdre leur âme» C'est à Fellag lui-même que nous empruntons cette conclusion…