Presque un quart de siècle après le 5 octobre 1988, il y a lieu de revenir sur cette date, qu'on le veuille ou pas, symbolique des luttes démocratiques, qui a marqué l'histoire de l'Algérie post-indépendance. On a beau travestir ou pervertir la teneur d'Octobre 1988, chahut de gamins qui a fini dans un bain de sang ou complot ourdi contre Chadli Bendjedid, guerre de clans ou on ne sait quoi, les faits sont là, Octobre fut incontestablement l'aboutissement d'une longue marche et la consécration d'une lutte ardue pour les libertés d'une génération qui a consenti tant de sacrifices. Octobre a bien débouché sur une nouvelle ère : celle du pluralisme politique, de la démocratie, avant que le loup ne sorte du bois. Il ne s'agit pas, ici, de remonter l'histoire du scandaleux détournement d'un beau rêve que tous les Algériens ont nourri, celui de voir leur pays débarrassé d'une intenable dictature et prospérer sous le ciel d'une démocratie prometteuse, mais mettre l'accent sur deux questions qui interpellent tout un chacun aujourd'hui. Qu'a fait le pouvoir de l'ouverture démocratique arrachée de haute lutte par des générations de militants ? La situation actuelle des libertés dans notre pays n'interpelle-t-elle pas la classe politique, l'opposition démocratique en premier, à faire son bilan après tant d'années de déperdition ? Inutile de rappeler le récurrent constat de la fin de la récréation sifflée par les différentes composantes du pouvoir, embourbées dans leurs sclérosantes contradictions mais très à cheval sur leurs intérêts de rente. Le propos est d'appuyer, à présent, le trait sur les conséquences de la régression d'une classe politique charcutée par des tiraillements qui, le moins que l'on puisse dire, ont défriché le terrain à une contre-révolution dont les effets sont connus de tout le monde. Les libertés publiques et individuelles ainsi que les droits de l'homme ont connu une telle régression que l'on oublie presque, aujourd'hui, qu'il a y eu en Algérie de nombreuses luttes pour la démocratie et un certain 5 Octobre 1988. L'égocentrisme politique, l'étroitesse de vision et les ambitions personnelles ont fait perdre la tête aux leaders de l'opposition. Fourvoyés dans des querelles de ménage, ils ont perdu l'essentiel, l'entente sur un SMIG démocratique, au profit de l'accessoire, des luttes de leadership. Mais pas seulement, la rente a réussi aussi à en capter certains ; des miettes de pouvoir ont attiré les plus téméraires des militants ; d'autres ont carrément jeté l'éponge. Certains diront que le pouvoir a fermé le moindre espace, ne laissant rien à ses opposants ! L'argument tient la route, c'est une réalité. Sauf que cette explication, un peu facile, n'est qu'une part de vérité. La responsabilité des démocrates est autant engagée. Si ces derniers avaient fait l'effort de trouver le consensus sur les grands principes pour constituer une force de contre-pouvoir, on n'en serait pas là aujourd'hui. C'est en fait ce péché mignon qui a fait reculer les acquis d'Octobre. Cette régression a un prix : le pays souffre d'une panne généralisée. Et même devant une telle situation de chaos, rien ne semble en mesure de secouer une classe politique dépassée par les événements. «Octobre» est un rêve bien lointain.