Par Ahmed Meliani, secr�taire g�n�ral par int�rim du MDS Dans un monde instable qui conna�t une acc�l�ration et des bouleversements sans pr�c�dent, l�Alg�rie de 2007 sera-t-elle l�Alg�rie des luttes d�mocratiques et citoyennes, celle de la mise en �uvre d�une alternative d�mocratique autonome et cr�dible ou sera-t-elle l�otage encore une fois des �solutions et des recettes� �cul�es et qui reproduisent dangereusement et sans cesse le syst�me rentier bureaucratique alli� � l�islamisme ? Les derniers d�veloppements montrent que les priorit�s du pouvoir ont �t� et continueront � �tre autres que ce qu�en attendent les citoyens et le devenir d�mocratique de la nation. Le dernier discours de Bouteflika, � l�occasion de la promulgation de la loi de finances, derri�re l�illusionnisme de �progression� qu�il repr�sente n�est-il pas en fait une reconnaissance de la panne du pouvoir � r�pondre aux exigences de changement toujours d��ues de la soci�t� ? Huit ans apr�s son arriv�e au pouvoir, Bouteflika sert encore des promesses. Le pouvoir semble naviguer � vue sans savoir vraiment o� il va. A tous les niveaux et dans tous les domaines, le constat est sans appel : l�Alg�rie est en panne. Elle n�arrive toujours pas � trouver une issue d�mocratique, patriotique et moderne � la crise, elle n�arrive toujours pas � exploiter ses atouts, sa position g�ostrat�gique, ses potentialit�s mat�rielles et humaines, et l�embellie financi�re. Cette derni�re due essentiellement � l�aubaine de la hausse du prix des hydrocarbures n�est pas rentabilis�e dans le cadre du d�veloppement des forces productives et pour mieux n�gocier l�insertion de l�Alg�rie dans la Division internationale du travail. Les citoyens ont le d�testable sentiment de s�appauvrir davantage � mesure que l�Etat devient riche. Nous sommes en train de passer de la crise des caisses vides � celle des caisses pleines � craquer. La long�vit� de la crise, l�impasse sur les v�ritables r�formes dont a besoin le pays, le recul sur les acquis d�Octobre 88� d�notent � la fois de la r�gression du rapport de forces politiques dans laquelle a sombr� le pays et de la crise des �solutions pr�n�es et ressass�es par le pouvoir� de sortie de crise. Apr�s avoir pass� son premier mandat � se plaindre qu�il n�a pas les coud�es franches pour appliquer son programme, comprendre par-l� que la situation ne permettait pas encore d�infl�chir le rapport des forces en place, Bouteflika est oblig� d�inventer chaque fois de nouveaux boucs �missaires et de subterfuges id�ologiques pour justifier l�impasse du pouvoir qu�il incarne. Ni la r�conciliation n�a ramen� la paix ni le programme de soutien � la relance �conomique n�arrive � faire sortir la soci�t� du marasme socio�conomique et de la d�gradation sans pr�c�dent des conditions de vie. Fait isol� ou corruption end�mique au syst�me et � la nature de l�Etat ? V�ritable proc�s ou parodie de justice, le proc�s de Khalifa est cens� t�moigner de la volont� du syst�me � s�attaquer au ph�nom�ne de la corruption qui a tendance � devenir institutionnelle et structurelle. Il ne doit pas et ne peut �tre l�arbre qui cache la for�t. La corruption fait rage. Elle n�est pas une �d�viation� du syst�me, elle est inh�rente � sa nature. La politique qui marginalise et isole toutes les forces de la production et du savoir ne peut qu�instituer la corruption comme mode g�n�ralis� de rapports sociaux et politiques. La cr�ation du groupe Khalifa �tait con�ue comme un signal fort en direction des investisseurs aussi bien nationaux qu'�trangers. A un moment de grand besoin d�investisseurs, ce groupe �tait cens� t�moigner de la conversion du syst�me au lib�ralisme. Pour cela, il fallait que toutes les institutions de l�Etat s�impliquent. Tr�s vite, des pans entiers du syst�me ont saisi l�opportunit� pour recycler les �normes fortunes acquises dans des conditions plus que discutables. Cette opportunit� ne pouvait pas ne pas se transformer en une gigantesque entreprise de rapine et de vol � ciel ouvert qu�il est vain de vouloir attribuer � une seule personne ! Les Alg�riennes et les Alg�riens n�ont que faire d�un �proc�s� qui se noie dans un amas de d�tails qui, malgr� leur croustillant, ne restent que des d�tails qui captent l'attention mais n'�tanchent pas la soif de v�rit� et de justice, ni qu�il fasse �cran sur d�autres affaires scandaleuses comme celle de BRC, ni encore moins de savoir si la r�glementation a �t� suivie � 50 ou 80%. Ce qui les int�resse, c�est d�avoir des r�ponses � des questions simples : qui a ordonn� les d�p�ts des fonds de la Cnas, de l�OPGI et autres institutions de l�Etat dans El Khalifa Bank ? Pourquoi les autorit�s ont laiss� des �normes sommes sortir ill�galement du territoire national ? Qui a couvert de pareils agissements et rendu inop�rante l�action des institutions l�gales pr�vues � cet effet ? A toutes ces questions, le proc�s r�pond par des silences g�n�s. Par contre, ce sur quoi va d�boucher ce proc�s avec certitude, ce sera l�approfondissement du divorce entre l�Etat et la soci�t� et l�accentuation du discr�dit de la justice. Parce qu�avec toutes les pr�cautions prises pour que ce �proc�s� ne d�voile rien des secrets de syst�me qui entourent cette affaire, une partie du voile s�est d�chir�e. Par petites bribes, les secrets du s�rail commencent � sortir. Non seulement ces r�v�lations ne sont pas l��manation des institutions de l�Etat, mais au contraire, ces derni�res sont instrumentalis�es pour emp�cher la v�rit� de se manifester, le divorce entre l�Etat et la soci�t� ne peut que s��largir. �Paix et r�conciliation nationale� ou r�conciliation entre les forces de la rente, de la sp�culation et de l��conomie informelle sous la banni�re de l�id�ologie islamo-conservatrice ? Le renforcement de l'int�grisme religieux dans les institutions incarn�, entre autres, par la cooptation d'un de ses �minents repr�sentants � la t�te du gouvernement et son d�ploiement dans la dynamique de la consolidation de l'alliance islamo-conservatrice au pouvoir est une confiscation de la victoire sur le terrorisme int�griste et se situe en porte-�faux par rapport � l�exp�rience de la soci�t� et l��volution de la conscience sociale. L�islamisme saisit la perche, par sa politique entriste et la pression terroriste et id�ologique qu�il exerce, et tente de se red�ployer et de reconqu�rir les positions qu�il a perdues dans la soci�t� profitant des concessions r�p�t�es que lui fait le pouvoir et la t�tanisation de la classe politique. Il profite aussi du recul de la vigilance th�orique et pratique des forces d�mocratiques, banalisant le retour de K�bir et l�accueil qui lui a �t� r�serv�, les d�clarations des chefs de file de l�islamisme et du terrorisme comme si aujourd�hui la solution viendrait de ceux-l� m�mes qui ont mis le pays � feu et � sang. La persistance du terrorisme islamiste, malgr� sa mise en �chec par la r�sistance multiforme de la soci�t�, de l�ANP et des forces de l�ordre, a �t� raviv�e gr�ce � la �concorde civile� puis � la �charte� dite �pour la paix et la r�conciliation� qui se sont traduites en gr�ces amnistiantes et en privil�ges, exorbitants jusqu'� l'immoralit�, accord�s � ceux d'entre eux en d�tention. La derni�re vague des attentats terroristes � Tizi Ouzou et Boumerd�s, par leur ampleur et la logistique qui leur est sous-jacente, t�moignent de l��chec de la politique dite de �r�conciliation nationale�. Ce sont l� ses seuls r�sultats palpables. Les citoyens, les patriotes, les familles victimes du terrorisme sont certainement ceux qui forment l�ensemble des ind�sirables et des exclus de cette r�conciliation. Tous ceux qui ont combattu le terrorisme, dans et en dehors des institutions, d�rangent. L�alliance islamo-conservatrice et � travers la politique dite de �r�conciliation nationale� constitue l�essence et la raison id�ologique de ce pouvoir : le discours et les pratiques r�trogrades des appareils id�ologiques de l�Etat sont mis au service de l�embrigadement de la soci�t� ; la r�pression de toute forme de contestation syst�matique devient le rapport privil�gi� du pouvoir avec la soci�t�. Enfin, les int�r�ts �troits de la rente avec les secteurs de la sp�culation inf�od�es au capital financier international fondent sa base �conomique. Le pouvoir, par sa d�marche, marginalise les forces socio�conomiques porteuses de changement, les forces du travail, du capital et du savoir. Tout est fait pour maintenir l�Alg�rie sous la domination des forces islamoconservatrices et la confiner dans un r�le de pourvoyeur en hydrocarbures. R�vision constitutionnelle pour asseoir les bases d�un Etat moderne ou pour permettre la reproduction du syst�me ? Faisant l�impasse sur la crise m�re, celle de la nature l�Etat et retardant dangereusement sa refondation sur des bases r�publicaines, d�mocratiques et modernes, l�annonce de la r�vision constitutionnelle a �t� pr�sent�e comme une solution magique aux probl�mes de gouvernance et de pouvoir en Alg�rie. Le d�bat biais� sur le type de r�gime pr�sidentiel/parlementaire ou semi-pr�sidentiel occulte les questions de fond : les institutions sont vid�es de leur contenu et posent dramatiquement la crise de repr�sentation et de repr�sentativit� dans notre pays. La Constitution devrait consacrer la citoyennet�, les libert�s d�mocratiques collectives et individuelles, le droit � l�organisation et � l�expression. Pour cela, l�urgence de consacrer la s�paration du politique et du religieux, la traduction des luttes citoyennes, l�abrogation de toutes les lois discriminatoires sont la seule voie possible pour l�Alg�rie de consacrer constitutionnellement les valeurs d�mocratiques � m�me de sortir l�Alg�rie de la crise. Le souci du pouvoir semble �tre ailleurs. L�ensemble de la classe politique et la presse nationale ont cru d�celer une volont� de Bouteflika de briguer un autre mandat, avant de se rabattre, suite � la maladie du pr�sident, sur les probl�mes de succession que le syst�me veut et pense r�gler en instituant le poste de vice-pr�sident. Dans les deux cas de figure, on ne comprend pas les h�sitations du pouvoir si les motivations sont claires et font consensus. Traduisent-elles des luttes d�appareils sourdes, mais coup�es des v�ritables attentes de la soci�t� ? Expriment-elles des r�sistances non visibles dans tous les cas ? ou au contraire expriment- elles, avec la relance par Belkhadem du projet, la volont� de fixer constitutionnellement les acquis pour la tendance islamo-conservatrice, dans le rapport des forces institutionnel, et mettre en place les m�canismes successoraux pos�s par la maladie de Bouteflika dans des conditions plus favorables ? Cette d�marche, tout en soulignant la f�brilit� du pouvoir et de l�alliance islamo-conservatrice ainsi que le foss� les s�parant eux et leurs projets des besoins de la soci�t� et des exigences de sortie de la crise de l�Etat, ne remet-elle pas, avec le processus �lectoraliste qu�ils se pr�parent � d�rouler, � l�ordre du jour les grandes illusions, les attentes des initiatives de solution d�un hypoth�tique noyau de l�Etat auxquelles des d�mocrates devraient se pr�parer passivement. Ce qui est visible, par contre, c�est la volont� du syst�me de fermer la parenth�se des acquis d�mocratiques d�Octobre 88. Il veut juste soigner la forme � lui donner pour ne pas appara�tre en d�calage par rapport � la tendance mondiale vers la d�mocratisation. Le travail d'�rosion volontaire des libert�s d�mocratiques est syst�matis� par les atteintes r�p�t�es aux droits des citoyens, � la libert� d�organisation et d�expression, au harc�lement judiciaire contre les gr�vistes, les journalistes et les militants de la d�mocratie. Le maintien de l'�tat d'urgence ne semble s'appliquer que contre les forces citoyennes et d�mocratiques du pays. Le pouvoir tente de reconfigurer la classe politique autour de l�alliance islamo-conservatrice tout en maintenant un pluralisme de fa�ade qui accepterait une �opposition � gauche comme � droite�, mais articul�e syst�miquement � ses vis�es et qui lui serviraient de caution pour la reproduction du syst�me. Face � l�exigence de refonder la classe politique dans le sens de la d�mocratie moderne, le pouvoir pr�f�re une classe politique acquise � la r�conciliation qui, quelle qu�en soit la forme, ne d�range pas, celle qui s�engouffre dans son �tunnel�. Le grand d�calage entre une classe politique obsol�te et l��volution des aspirations et des exigences de la soci�t� ? L�absence des perspectives et la d�gradation des conditions de vie plongent la soci�t� dans un marasme ambiant dans lequel vivent les citoyens. Il est � la source tant de l'�l�vation du taux de suicides que du large mouvement d�sesp�r� des �harragas� auquel l'Etat ne r�serve comme traitement que la poursuite p�nale pour les jeunes qui �s'en sortent� saufs mais pas n�cessairement sains ; par ailleurs, des pans entiers de la soci�t� pr�f�rent les �meutes et les mouvements de contestation exprimant ainsi leur perte de confiance dans les institutions et les instances ��lues� et n�ayant d�autres recours pour poser leurs probl�mes face au verrouillage de la vie politique et d�mocratique que ces formes extr�mes. Le pouvoir et le syst�me d�Etat, incapable de comprendre une soci�t� travaill�e par les mutations d�mographiques sans pr�c�dent et une exp�rience accumul�e dans le feu du combat contre l�int�grisme totalitaire, essaie de la maintenir prisonni�re de structures obsol�tes et d�un type d�organisation soci�tale �cul� et aggrave ainsi la crise qui secoue le pays. L�Alg�rie est en train d�achever la transition d�mographique g�n�rant de nouveaux besoins : la scolarisation des filles, le recul de l��ge de mariage et la baisse de natalit� qui leur est cons�quente, la g�n�ralisation de l�organisation familiale cellulaire. Ces mutations d�mographiques et de la famille rendent obsol�tes toutes les formes d�organisation soci�tales et juridiques en vigueur, induisent des changements structurels sur les mentalit�s et les besoins nouveaux incompressibles des citoyens. Elles ne manqueront pas de bouleverser la structure du march� du travail et cr�ent objectivement les conditions d�amorce des processus d�individuation qui fondent l��mergence de la citoyennet� et d�une soci�t� civile moderne. Le pouvoir fait le pari p�rilleux de maintenir les anciennes solidarit�s, des lois �cul�es d�un autre �ge et met s�rieusement en p�ril les fondements modernes de refondation de l�Etat-nation dans un contexte de mondialisation acc�l�r�e. Dans ces conditions, notre soci�t� r�siste et poursuit ses combats multiformes, � l'exemple des r�centes luttes des enseignants du secondaire, dont le technique, et du sup�rieur, des luttes sociales locales qualifi�es injustement d'��meutes� qui agitent diverses villes du pays, des gr�ves des travailleurs, des initiatives citoyennes locales, des multiples d�bats engag�s sur des questions soci�tales, des �crits courageux de nombreuses personnalit�s, etc. Elle se bat pour se sortir de la gangue renti�re et de la chape de plomb auxquelles le pouvoir islamo-conservateur s�acharne � la soumettre. Dans le mouvement in�gal et non lin�aire de ses luttes et r�sistances, elle initie des processus d��mergence de nouveaux leaders de la soci�t� civile, produit les embryons de ses propres formes d'organisation, exp�rimente ses propres formes de lutte et interpelle, plus fortement, ses forces d�mocratiques � se ressaisir. Elle les interpelle � lutter pour sortir des griffes de la toile d'araign�e dans laquelle le pouvoir essaie toujours de les emprisonner, � redoubler de vigilance pour contourner aussi bien les rets qu�il tisse et ses tentatives tant de les maintenir divis�es ou de �normalisation� de celles, organis�es, qui ne cautionnent pas ses parodies �lectoralistes. Elle les interpelle, enfin, � unir leurs �nergies et � se remobiliser pour donner un coup d'arr�t au processus de d�liquescence qui mine notre pays et engager de mani�re autonome, avec et pour elle, une v�ritable alternative d�mocratique de sortie de crise. Il est ais� de percevoir que la ligne de clivage essentielle qui, loin de se r�duire � une participation ou non aux �lections, se rapporte, au contraire, aux conditions d�exercice r�el de la d�mocratie, de r�alisation de la citoyennet� et des libert�s d�mocratiques et d�organisation, la libert� d�expression. La d�mocratie ne se r�duit pas � un acte de vote amput� des droits �l�mentaires � la parole et � l�organisation. Ceux qui se battent l�ont bien compris. Ceci explique pourquoi la tendance lourde est � l�abstention et au boycott. La d�mocratie, comme la modernit�, est une ensemble de valeurs, de discours et de pratiques qu�on ne peut saucissonner sans risque de les pervertir, elles ne sont pas en opposition � notre patrimoine, � notre histoire ; bien au contraire, elles sont la condition de leur r�appropriation et la base de toute projection dans l�avenir. Seule une large mobilisation autour des libert�s d�mocratiques et politiques, pour le droit � l�organisation autonome syndicale et citoyenne, pour le droit � la gr�ve, la d�p�nalisation du d�lit de presse, contre le d�ni de justice et les poursuites judiciaires contre eux qui luttent quotidiennement, pourrait amorcer un v�ritable processus qui redonnerait au suffrage universel son essence d�mocratique. Les syndicats, les associations f�minines, les associations de la soci�t� civile, les mouvements contestataires, les patriotes et les familles victimes du terrorisme, le capital productif public et priv�, les forces du savoir et de la science constituent la base sociopolitique et �conomique des d�mocrates. La t�che la plus urgente est de construire, avec ces forces, le large rassemblement, et non pas leur tourner le dos pour d�hypoth�tiques parodies �lectorales qui reproduisent la crise. Alger, le 19 f�vrier 2007