L'essayiste et critique, Denise Brahimi, revient avec un second essai. Un travail académique de belle facture consacré à une femme hors du commun. Publié aux éditions Chihab, Grandeur de Taos Amrouche s'attache à mettre en valeur l'œuvre romanesque enfiévrée de cette éblouissante Antigone, mais surtout raconte la trajectoire singulière et la passion d'une femme de lettres et de culture. Même s'il peut paraître grandiloquent, le choix du titre correspond au mieux à un trait dominant qu'on retrouve dans l'attitude de la fille de Fadhma Ath Mansour et dans ses œuvres. «C'était vraiment une grande dame par sa fierté et sa prestance. Il n'y avait rien de petit ou de médiocre chez elle. Elle avait eu des côtés très pénibles dans son entourage, parce qu'elle était très fière, très exaltée», confie Denise Brahimi à El Watan en marge d'une vente-dédicace organisée, jeudi dernier, au Salon du livre d'Alger. L'auteur prévient, ce nouvel essai est complètement différent du premier, Taos Amrouche, romancière, qu'elle avait publié, en 1995, aux éditions Joëlle Losfeld. «Dans le premier essai, je voulais seulement rappeler que Taos Amrouche avait écrit des romans tout à fait passionnants. Cette fois-ci, c'est un livre qui est destiné aux chercheurs. Mon idée est de faire passer le relais aux jeunes générations. Et ce livre ouvre des pistes de réflexion sur son œuvre», explique l'essayiste. Le premier roman de Taos, Jacinthes noires (1947) évoque une héroïne depuis longtemps blessée par la confrontation avec son destin d'étrangère. Celui-ci se trouve au cœur de la première partie de cet opus intitulée Taos et l'orgueil. L'essayiste évoque le refus de la médiocrité, principe innée chez Taos, et son obsession à se faire reconnaître et être acceptée. Dans ses romans essentiellement d'ordre psychologique et intimistes, Taos Amrouche est incarnée par des figures d'héroïnes tragiques, sans cesse confrontées à l'échec. Ces figures résistent et puisent leurs forces dans le rejet du modèle commun ou de l'ordre établi masculin. La seconde partie de l'essai traite de l'ardente passion qui couvait chez Taos. Cette fois-ci, on y retrouve l'orgueil opposé aux déboires amoureux de l'héroïne. L'universitaire s'y attarde sur «l'impossible fusion» qu'on retrouve dans L'amant imaginaire (1975) et Solitude ma mère (1995),( à titre posthume), bilan de toute une passion. «Elle a eu tout le temps l'impression qu'elle était incomprise. Comme tous les gens prestigieux et un peu exceptionnels, elle faisait peur. Elle aurait voulu la tendresse, l'amour et l'affection. En fait, on l'admirait avec une certaine distance. On est dans la tragédie. La grandeur même éloigne les autres et les condamnent à une certaine solitude», résume Denise. Dans la dernière partie, intitulé «Taos et la douleur», l'essayiste se penche sur l'ambivalence des sentiments de cette «arbouse flamboyante», en citant l'exemple de la place et du rôle de l'appartenance kabyle dans sa vie. Dans Rue des Tambourins, (1969), on y découvre le drame de la transplantation culturelle et la rançon de l'exil. De manière tragique, Taos concentre à la fois la «malédiction» de ses origines berbères, sa fière appartenance à la plus ancienne souche humaine d'Afrique du Nord, ainsi que son attachement à cet héritage. Pour Taos, l'écriture n'aura été que souffrance. C'est le cas, entre autres, de L'Amant imaginaire, bloqué par son ami l'écrivain, Jean Giono, pendant plusieurs années. Lorsque celui-ci a su qu'il figurait dans l'ouvrage, il a ordonné aux éditeurs de ne pas le publier. Toutefois, c'est assurément dans les vieux chants de sa race qu'elle trouve une voie de salut. «Au début, elle souffrait un peu de cet héritage, parce que cela la rendait différente des autres. Mais finalement, elle s'était rendu compte que ce qu'elle voulait dans sa vie était de faire connaître cet héritage des chants berbères de Kabylie. C'était l'œuvre de sa vie. Elle se sentait bien, lorsqu'elle chantait ces chants», souligne notre interlocutrice.