La guerre de positions sur la situation au nord du Mali ne connaît pas de répit même si, ces derniers jours, l'option militaire défendue principalement par la France, la Cédéao et Bamako est de moins en moins partagée. Sur le terrain, la population est prise en étau entre les groupes islamistes armés, les terroristes et surtout la misère. Depuis quelques semaines, la France tente de forcer la main à Bamako et à la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao), mais également à certains pays de l'Union européenne, pour une intervention militaire au nord du Mali, sous prétexte de «déloger» les groupes islamistes, sans pourtant expliquer dans quelles conditions cette guerre sera menée. Par cette position, elle se met en contradiction avec les aspirations de toutes les composantes de la région qui refusent catégoriquement une quelconque option militaire qui, pour elles, serait une occasion pour fédérer tous les groupes armés qui s'y trouvent, y compris le Mouvement pour l'unité du djihad en Afrique de l'Ouest Mujao) et Al Qaîda au Maghreb islamique (AQMI), au nom de la défense du territoire. Qu'est-ce qui pousse la France à privilégier le scénario de la guerre par procuration en armant 3000 hommes de 14 pays voisins du Mali afin qu'ils aillent «libérer» la région de l'Azawad de ses «occupants» ? Pourtant, en sa qualité d'ancienne puissance coloniale, qui mieux que la France peut connaître la sociologie de cette partie du monde habitée par une population trop brimée par des hommes de couleur que Bamako a de tout temps chargés de la mission de maintien de l'ordre, de la répression ou de la gestion de cette cité, devenue l'enfer sur terre ? Comment les 3000 hommes de la Cédéao vont-ils pouvoir déloger quelque 10 000 hommes armés, aguerris, bien équipés, puissamment armés, connaissant parfaitement le terrain et vivant parmi une population hostile à tous ceux qui viennent du sud du Mali, c'est-à-dire les hommes de couleur ? Pourront-ils faire la différence entre les terroristes d'Al Qaîda et les Touareg qui se battent pour le droit à l'existence ? L'on se rappelle comment Amadou Toumani Touré (ATT), l'ancien président déchu le 22 mars 2012 par un coup d'Etat, foulait aux pieds les accords qu'il avait lui-même signés avec les Touareg pour mettre fin à une rébellion sanglante pour la dignité et le droit au développement. La connexion ATT-AQMI Pour mieux donner cette image d'un Nord indomptable source de problèmes et de violence, ATT va jusqu'à accorder l'asile aux groupes terroristes d'Al Qaîda qui fuyaient l'Algérie, pour faire du nord de son pays une base arrière. Enlèvements, contrebande, rançonnage, trafic d'armes et de drogue sont devenus les principales activités des groupes terroristes et autres trafiquants. Les deux cohabitent et se rendent service mutuellement. La guerre en Libye a aggravé la situation, à travers ces quantités considérables d'armement lourd mis en circulation. Composé essentiellement d'anciens militaires revenus de Libye, le Mouvement national pour la libération de l'Azawad (MNLA) occupe Ménaka et encouragé par la débâcle de l'armée malienne après le coup d'Etat, marche sur Kidal. Mais il est vite pris de court d'abord par Ançar Eddine, à sa tête Ayad Ag Ghaly, puis par le Mujao et AQMI qui ont prêté main-forte au premier (Ançar Eddine) pour libérer Gao et Tombouctou après Kidal. Cette alliance entre Ançar Eddine (lui-même traversé par des courants) et les deux autres organisations terroristes n'est que conjoncturelle. Et c'est là le point faible de cette alliance. L'Algérie espère justement contribuer à trouver une solution politique entre les groupes nord-maliens d'abord, puis avec Bamako. Il est question d'abord d'obtenir un minimum sur lequel les grandes tribus influentes vont s'entendre et faire en sorte que les groupes terroristes soient chassés de la région ou carrément combattus. Les pays de la région, notamment l'Algérie, pourront soutenir cette action par la logistique, mais aussi par des projets de développement pour sortir la population de la misère. Le va-t-en-guerre de la France En attendant, il faudra que la question de légitimité du pouvoir à Bamako soit résolu, dans l'espoir de réunir les deux parties, à savoir les groupes du Nord (Ançar Eddine et MNLA) et les autorités maliennes autour d'une table. Cependant, force est de constater que la France, à travers la Cédéao et Bamako, fait tout pour aller vers la solution militaire, quitte à laisser derrière des milliers de morts parmi la population civile. Mais à ce jour, l'ONU n'a pas encore autorisé cette option malgré le lobbying de la diplomatie française. Elle veut, avant toute décision, connaître les modalités de cette intervention à haut risque. Son secrétaire général, Ban Ki-moon, va plus loin en mettant en garde contre le recours à l'option militaire en disant qu'«elle pourrait avoir de graves conséquences humanitaires, y compris de nouveaux déplacements et des restrictions à l'accès humanitaire». Cela dit, la position américaine est sujette à interprétations plus ou moins contradictoires, du moins en apparence. Il y a d'abord la secrétaire d'Etat américaine, Mme Hillary Clinton, qui demande une «plus large concertation régionale et internationale et l'examen des diverses propositions faites par la Cédéao». Il y a ensuite le commandant de l'Africom, le général Carter Ham qui, lui, appuie la position algérienne. Et enfin Johnnie Carson, le plus haut responsable pour l'Afrique au département d'Etat américain, qui soutient une action militaire bien préparée pour expulser la rébellion islamiste. Pour autant, la position des Etats-Unis est loin d'être aussi tranchée que celle de la France dont le président, François Hollande, a demandé une convocation «au plus vite» au Conseil de sécurité pour examiner la demande d'intervention présentée par Bamako. Va-t-on donc éviter une catastrophe humanitaire au nord du Mali ? Rien n'est moins sûr.