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« N'obéissez ni aux militaires ni aux politiques »
Bouteflika interpelle les magistrats
Publié dans El Watan le 25 - 03 - 2006

A partir de la tribune offerte par les avocats, jeudi dernier, au Club des Pins, le président de la République est encore une fois revenu sur la « corruption » et la « partialité » qui gangrènent les rangs de la corporation des magistrats.
Le chef de l'Etat reconnaîtra, toutefois, que l'indépendance de la justice passe inévitablement par celle du juge. Selon lui, elle ne peut être atteinte tant que « la corruption reste de mise ». Il a donc interpellé les magistrats en les sommant de « n'obéir ni aux militaires ni aux politiques ». « N'obéissez qu'à votre conscience et uniquement à votre conscience », a-t-il déclaré avec emphase et insistance. Des phrases fortement applaudies par une assistance très nombreuse. Mais, a-t-il souhaité, « il faut arriver à avoir des juges incorruptibles, forts, qui agissent selon leur conscience, ce jour-là, et nous y arriverons, nous aurons atteint la véritable indépendance de la justice ». Abordant la question de la charte pour la paix et la réconciliation, le Président, visiblement touché par les avis divergents, a déclaré : « Je sens qu'il y a de la froideur dans la salle. Une froideur que je comprends. Mais je suis responsable et j'assume cette responsabilité. Je me rappelle la même froideur durant l'époque de la concorde civile. Et vous êtes devenus, par la suite, les militants de cette concorde. Vous pouvez ne pas être d'accord avec mon avis, mais je suis convaincu que la réconciliation va faire fondre cette froideur. » A ce titre, Bouteflika a appelé l'élite du pays à éclairer la société pour répandre la culture de la réconciliation. « Dès lors et grâce à votre bienveillance et aux efforts de toutes les franges de la société, notamment les intellectuels, l'Algérie transcendera sa crise par les voies légales, loin de toute manœuvre dilatoire. » La crise profonde qui a affecté notre pays, a-t-il expliqué, a eu « de graves conséquences sur le tissu social qui, fragilisé, est devenu une proie facile pour la pensée extrémiste et intégriste, étrangère à nos fondements culturels et religieux séculaires. Vous n'ignorez point les conséquences de cet extrémisme sur la société dans laquelle les antagonismes, la haine et les rancœurs nourris ont failli tout anéantir. Ils ont créé au sein de la société algérienne de graves ruptures qui allaient tout ébranler ».
Des blessures douloureuses
Le Président a reconnu cependant que les blessures « sont encore douloureuses », et « que la vue d'un terroriste circulant en toute liberté en ville fait très mal ». « Cela me fait mal à moi aussi », a-t-il souligné avant d'ajouter : « Mais après réflexion, j'ai compris que la solution n'est pas dans l'éradication. L'éradication est une des armes utilisées pour combattre le terrorisme, mais dans un contexte précis et avec des conditions claires. La lutte est sociale, culturelle et économique afin d'éviter l'effritement de la société. » Et à ce propos, le président Bouteflika a tenu à préciser qu'il veillera à l'application de la charte. Il a averti que cette loi ne pardonnera pas à ceux qui reviennent à leurs activités, expliquant que l'Islam n'a pas été propagé par l'épée, le couteau ou le terrorisme, mais par la conviction. « Ceux qui ont des modèles étrangers à notre pays n'ont qu'à les appliquer pour eux-même. Ils ont leur religion et nous avons la nôtre. Nous n'oublierons jamais ceux qui étaient responsables de la tragédie nationale. Nous serons de leurs côtés pour la charte mais nous ne serons jamais pour le retour vers cette situation (....). » Bouteflika a rappelé les moments très durs que l'Algérie a connus, notamment « lorsque même des pays amis la fuyaient comme si elle était porteuse de maladie contagieuse », en affirmant à trois reprises que « la réconciliation nationale est la solution irréversible à la crise (...) ». « Je ne suis pas un prophète. Je ne fais que ce qui est en mon pouvoir. Les Algériens en ont marre des massacres et sont fatigués de ceux qui attisent les massacres par la parole et la plume. La paix est notre affaire à tous. Si je suis sur la bonne voie aidez-moi et si je suis dans l'erreur combattez-moi avec vos épées », a-t-il poursuivi. Les textes de la charte, a noté le Président, visent à soutenir les familles des victimes et des disparus, en garantissant leur prise en charge matérielle et morale, par devoir d'entraide et de solidarité entre les citoyens et en resserrant leurs rangs pour faire face aux différentes épreuves. « Nous œuvrons pour une société qui n'admet ni aliénation ni déviation, et qui n'accepte point l'hétérodoxie, sous couvert de renouveau et de modernisation, qui s'interdit tout repli ou esprit sclérosé au nom de la religion ou de traditions dépassées. Une société qui ne souffre ni d'excès ni de manquements, et dont la religion - qu'elle pratique depuis 15 siècles - ne reconnaît ni monachisme ni extrémisme. Nos approches, nos démarches et nos décisions ne tendent nullement à privilégier une pensée, une catégorie ou une partie donnée au détriment d'une autre. Notre seul souci est de servir l'Algérie et son peuple, dans le cadre d'un projet de société où sera bannie toute forme de fléaux et d'extrémisme », a-t-il affirmé. Le premier magistrat a estimé qu'il s'agit en fait d'une action qui requiert autant de compétences et de savoir que de pondération et de sens de responsabilité, d'autant que c'est à la justice, en sa qualité de protectrice de la société, qu'est revenue la mission de veiller à l'application de la majeure partie des textes et dispositions de la charte.
Renforcer le droit de la défense
Par ailleurs, le président de la République a souligné l'importance de la défense qui, selon lui, « bien que libérale et indépendante, demeure une partie intégrante du corps de la magistrature ». Aussi, pour lui, « les avocats sont les mieux placés pour défendre et restituer au citoyen ses droits fondamentaux bafoués par quelque partie que ce soit, car nul ne peut être au-dessus de la loi ou en faire fi ». Les réformes engagées dans le secteur de la justice appellent, a-t-il estimé, à la promulgation d'une nouvelle législation régissant la profession d'avocat qui tiendrait compte d'abord des questions liées directement à l'exercice des libertés et des droits fondamentaux du citoyen, notamment la promotion des droits de la défense. Le recours à ces normes constitue le fondement essentiel et la référence doit constituer le postulat pour tout traitement des questions fondamentales et internationales, d'autant plus que notre pays œuvre à s'insérer dans l'économie mondiale. Il a réitéré son attachement à la politique de la solidarité sociale, en affirmant qu'il ne l'abandonnera jamais, précisant néanmoins qu'il continuera à défendre l'économie de marché. Revenant sur le chapitre de la défense, M. Bouteflika a déclaré que « parce que l'avocat incarne l'exercice du droit à la défense que la nouvelle législation doit tenir compte de la prise en charge des préoccupations, à la fois, du collectif de défense, des magistrats et des justiciables ». « Devant l'augmentation, sans cesse croissante, des effectifs des avocats, le droit à la défense devrait être impérativement renforcé, et ce, à travers la création d'un Centre national de formation des avocats, regroupant une pléiade de candidats et de candidates, dont le cursus de formation devra être ponctué par un certificat d'aptitude professionnelle d'avocat », a-t-il dit. Le Président a également noté que pour une meilleure représentation de la profession d'avocat, les organes la régissant devraient être issus d'élections crédibles et que le rôle du Conseil de l'union des barreaux soit redynamisé afin de consacrer la concertation entre les différentes organisations des avocats, rapprocher les vues, coordonner les actions, combler les lacunes enregistrées sur le terrain, voire promouvoir, préserver et protéger l'éthique professionnelle de toute atteinte ou déviation. Les amendements de la législation algérienne au cours des dernières années, a déclaré le président Bouteflika, méritent d'être salués, tout particulièrement en matière de renforcement des garanties relatives aux droits et aux libertés politiques fondamentaux du citoyen. Parmi ces dispositions, a-t-il indiqué, plusieurs revêtent une grande importance, en premier lieu, la présomption d'innocence qui renforce les garanties octroyées au suspect lors de son arrestation et lui permet de faire appel à son avocat lors de sa présentation devant le procureur de la République. Ces dispositions portent également sur la réforme de l'enquête judiciaire à travers l'introduction d'éléments garantissant un équilibre entre les différentes parties afin d'amener le juge d'instruction à rechercher toutes les preuves aussi bien celles corroborant une accusation que celles la récusant. Elles portent en outre sur la révision des conditions de détention préventive et la limitation du recours à cette mesure ainsi que sur la consécration du droit au dédommagement en cas d'erreur judiciaire et de détention préventive injustifiée et la révision des dispositions de l'assistance judiciaire. Néanmoins, a-t-il ajouté : « Nous considérons que ce secteur sensible nécessite davantage d'efforts pour que l'injustice soit bannie à jamais. Pour ce faire, il importe d'analyser les lacunes identifiées et réformer les conditions d'organisation, de gestion et d'exercice de la profession, conformément aux normes internationales en vigueur et à l'éthique. »


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