Il semble de plus en plus évident que la signature d'un traité d'amitié entre Paris et Alger soit hissée au rang de priorité nationale, pour ne pas dire un axe stratégique de la diplomatie maghrébine de la France. Le fait est que les officiels français, le président Chirac en premier, ne ratent aucune occasion de (r)appeler de leurs vœux la nécessité de hâter le paraphe de ce traité. Tout se passe comme si l'establishment politique français est subitement suspendu à la bonne volonté d'Alger de donner son feu vert à ce mariage. Jeudi dernier, Jacques Chirac a trouvé en la douloureuse épreuve du séisme, qui a frappé une région de Béjaïa, une occasion pour renouveler sa demande. Au détour d'une formule de compassion à l'égard des victimes, le président français a glissé son message. Le plus important sans doute à ses yeux. « Je demeure engagé dans notre projet commun de traité d'amitié consacrant notre partenariat d'exception », a écrit, en effet, Chirac à son homologue Abdelaziz Bouteflika. Conscient que le temps est certainement son plus grand ennemi, Chirac se montre tout à fait impatient de passer à la table des discussions, le plus tôt possible. « Dès que les circonstances vous le permettront, je souhaite que nous puissions nous entretenir sur la façon de mener à bonne fin cette grande entreprise. » Il se dégage un fort relent d'inquiétude du président français d'assister à une éventuelle remise en cause de son projet personnel. Et pour cause ! Aux signaux inquiets et favorablement engagés qui proviennent de Paris, Alger renvoie des attitudes évasives et nonchalantes. C'est que l'impatience de Paris est sans commune mesure avec le calme olympien affiché par les décideurs à Alger. Si le ministre des Affaires étrangères, Mohamed Bedjaoui, a laissé entendre, l'autre jour dans un entretien accordé à l'agence officielle APS, que les négociations allaient reprendre maintenant que le « frein » de la loi du 23 février est en partie rangé, le chef du gouvernement, lui, a obscurci un peu les horizons. « Il n'y a aucun calendrier entre la France et l'Algérie. » Ahmed Ouyahia, cette voix autorisée par excellence, sait sans doute de quoi il parle. Le message suggère que l'agenda diplomatique algérien ne prévoit pas, du moins à court terme, des discussions publiques avec les responsables français sur la réanimation du traité d'amitié. L'Algérie a-t-elle décidé de tourner le dos à la France pour lui faire payer ses embardées ? S'agit-il d'une brouille passagère ou véritablement d'une tendance lourde des décideurs algériens de revoir les termes de l'équation algéro-française ? Le fait que les déclarations lénifiantes des responsables de l'Hexagone n'aient pas suscité autant d'entrain à Alger ni chatouillé l'ego de ses dirigeants dénote que quelque chose ne tourne plus rond. Etant devenue diplomatiquement très fréquentable, économiquement prometteuse et sécuritairement pacifiée, l'Algérie sait qu'elle est courtisée de toute part. Un franc... malentendu Les contrats d'armement conclus avec les Russes ont fait jaser en France. Le très officiel Le Monde sonne le clairon en estimant que l'accord remettait en cause « l'équilibre au Maghreb ». Il s'inquiète même de ce que l'Algérie soit devenue « leader » militaire au Maghreb et redoute la naissance d'un « cartel » du gaz entre l'Algérie et la Russie. Comme si le destin de développement de l'Algérie devait fatalement aller de pair avec celui de ses voisins de l'Est et de l'Ouest ! Acculée, la France multiplie des déclarations de bonnes intentions et alterne avec une « diplomatie » médiatique parallèle plus interrogative, plus offensive. Sauf que cela ne semble pas pouvoir bousculer les priorités algériennes qui sont à chercher ailleurs que dans la signature d'un traité d'amitié, dont elle n'en tirerait pas forcément grand profit, surtout pas le repentir de Paris sur les crimes de guerre commis durant la révolution. La France, elle, a tout à gagner. En enserrant l'Algérie dans son giron, elle espère pouvoir faire main basse sur un marché immense et solvable et s'assurer une sécurité énergétique. Et plus généralement, reprendre son rôle central au Maghreb que lui disputent concrètement les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, les Russes et à un degré moindre les pays du Sud-Est asiatique. Aussi, à moins d'une année de la présidentielle, Chirac souhaite exhiber ce traité d'amitié comme un trophée de guerre qui, pense-t-il, pourrait s'avérer être un gibier de choix pour appâter les électeurs. Pour lui ou son poulain de Villepin.