La Russie n'est pas près de lâcher son poulain Bachar Al Assad. Son ministre des Affaires étrangères, Serguei Lavrov, l'a réitéré hier en des termes à peine voilés. En visite à Paris, le chef de la diplomatie russe a mis en garde contre un «bain de sang» en Syrie si l'Occident persiste à demander le départ de Bachar Al Assad. Implicitement, Lavrov invite son hôte, Laurent Fabius, et les autres dirigeants occidentaux à effacer de leur agenda le départ du président syrien, dont l'armée bombarde à coups de chasseurs, ces derniers jours, des quartiers peuplés de civils à Damas.Le ministre français des Affaires étrangères a dû reconnaître, hier, une «différence d'appréciation» avec son invité russe. Un bel euphémisme qui souligne le fossé qui sépare la solution prônée par les Occidentaux et celle défendue par Moscou et Pékin. «Si la position de nos partenaires reste de demander le départ de ce dirigeant qu'ils n'aiment pas, alors le bain de sang va se poursuivre», a estimé M. Lavrov après des entretiens avec M. Fabius. Dans l'esprit de Lavrov, la volonté de la communauté internationale, moins la Chine et la Russie, d'en finir avec le dictateur syrien se résume ainsi à un simple désamour… En creux, Lavrov et son mentor Poutine suggèrent que Bachar Al Assad est au pire une victime du peuple syrien qui réclame la liberté, au mieux un homme de paix. Rien que cela ! C'est dire que plus que jamais, Moscou est aux côtés du tueur en Syrie.Le médiateur de l'ONU et de la Ligue arabe, Lakhdar Brahimi, a finalement eu raison de déclarer, à partir de Moscou, que la situation en Syrie va de mal en pis. Difficile en effet d'entrevoir une issue de secours au peuple syrien martyrisé quotidiennement, quand on constate ce soutien sans réserve des Russes à son bourreau. Jamais sans Al Assad 35 000 morts après, Moscou s'accroche encore au fameux accord de Genève de juin dernier prévoyant la création d'un organe de gouvernement transitoire dans lequel le régime syrien et l'opposition seraient représentés. Or, la situation sur le terrain s'est tellement dégradée et le fossé tellement élargi entre le régime de Damas et les rebelles que ce serait faire preuve de mauvaise foi que de croire cet accord applicable. Encore que les interprétations de cet accord différent selon que l'on soit du côté du peuple ou de celui du régime. Seules la Chine et la Russie continuent de soutenir qu'il appartenait aux Syriens de déterminer leur avenir, c'est-à-dire avec ou sans Al Assad. Pour les autres membres du Conseil de sécurité, le sort du président syrien est déjà tranché. C'est ce dialogue de sourds qui a paralysé l'action du Conseil de sécurité, réduit à examiner des projets de résolutions présentés par les Occidentaux et bloqués systématiquement par le duo sino-russe. En attendant, la Syrie, ouverte aux quatre vents, fait face à de multiples intrusions de groupes armés d'origines diverses qui compliquent un peu plus l'équation et rallongent la vie du régime.«Il y a des informations inquiétantes sur des extrémistes qui se rendent en Syrie et tentent de détourner à leurs fins ce qui était jusqu'ici une révolution légitime contre un régime oppressif», a admis hier la secrétaire d'Etat américaine, Hillary Clinton, à Zagreb. On comprend mieux pourquoi les Russes continuent bec et ongles de défendre Bachar Al Assad, en exploitant ces intrusions à l'origine desquelles leurs amis iraniens ne sont pas au-dessus de tout soupçon.