Avec son dernier livre intitulé Aigre-Doux, publié aux éditions Apic, Djamel Mati revient à ses premières amours, jamais abandonnées par ailleurs. Le fictionnel prend, à la faveur de cet ouvrage incoercible, le dessus. La Casbah, lieu de toutes les outrances, est le point de départ des pérégrinations de l'auteur. Lesquelles ne finissent jamais. Le narrateur s'est réveillé, « un triste matin, après un long, très long voyage dans le temps » avec la langue de bois. La réalité retrouvée se refuse à lui en dépit de son insistance et celle de sa femme. L'ex-rue du Diable a retrouvé un autre nom plus affriolant. Un numéro impersonnel et fade, « B114 » prendra la place du premier mot, par le décision impromptue de responsables communaux. Lesquels sont, à n'en point douter, à cheval sur tout ce qui touche à la religion. « Depuis, les nouveaux responsables de la commune l'ont rebaptisée parce que cela ne faisait pas bien... pour la religion. » Une radiographie intéressée de la société nous est offerte dans ce livre percutant. Aussi, « les chants et les couleurs ne s'y font pas clandestins » pour paraphraser Benzine. Dino Buzzati, le génial auteur italien s'est invité subrepticement dans le corps du texte qui court sur quelque 270 pages. Le désert des tartares retrouve une autre dimension sous la plume enfiévrée de l'auteur de Sibirkafi avec lequel le public l'a découvert. Djamel Mati dira dans Aigre-Doux le vécu désopilant de plusieurs générations d'Algériens. Tu ne saliveras point ! Tu n'achèteras point ! Tu ne riras point, tu ne fantasmeras point ! Tu n'espéreras ! Ce couplet, résume à lui seul toutes les indigences que font subir les « châtelains », dénomination que l'auteur donnera aux potentats du moment, aux petites gens. Chemin faisant, Djamel Mati nous délit avec une causticité certaine l'Algérie d'aujourd'hui et celle rêvée. Le narrateur ne sortira, qu'au bout de neuf long mois de sa « masure déglinguée ». Le rapprochement est vite fait avec le cycle biologique qui détermine la naissance de l'enfant à la vie. Durant cette période « intra-muros », il se gavera à satiété de psychotropes au goût aigre-doux. Le mot reviendra comme une ritournelle dans le texte. « La réalité est là à quoi sert de la débusquer », nous averti, en quatrième de couverture l'auteur. S'y plier n'est guère aussi le mieux indiqué, répondront certains sceptiques patentés. Aigre-Doux est un de ces écrits qui vous laisse un sentiment d'inachevé et une sapidité aigre-douce. Fragmenté en six chapitres, Aigre-Doux comporte un prologue et un épilogue. Des faits vécus par les Algérois sont restitués. Aussi, des réminiscences retrouvent le chemin du présent, les enfants assassinés en juillet 1998 sont évoqués à demi-mot. « Une bande de copains unis comme les cinq doigts de la main. Des hauteurs de la ville, ils peuvent contempler les ondes bleutées qui s'étalent à l'horizon. » Le roman se lit d'une seule traite tellement les phrases se succèdent dans un « embrouillement » plaisant. La langue est ainsi insoupçonnable et le choix qui y est opéré ne cesse d'étonner. L'auteur se fraie un chemin dans les mondes chimériques de la littérature fantastique.