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Djamila Sahraoui. cinéaste : «L'Algérie est un pays très dur avec ses enfants»
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Publié dans El Watan le 16 - 11 - 2012

Yéma(Ma mère) est la nouvelle fiction de Djamila Sahraoui. Elle a été projetée en avant-première mercredi soir à la salle Ibn Zeydoun, à Riad El Feth (Alger), en présence de la réalisatrice et des deux jeunes comédiens Ali Zaref et Samir Yahia.
-Yéma, le titre, paraît sympathique. Mais il suscite des interrogation, fait penser à beaucoup de choses…
«Yema, j'ai froid», crie Ali, le fils de Ouardia dans le film. Il la supplie. Dans l'affiche, vous voyez, la mère avancer vers un olivier, pas de gros plans sur les comédiens. Cela peut être «la mère patrie». Pour moi, la mère peut être l'Algérie surtout qu'elle est dure avec ses enfants. La mère dans le film représente une certaine aridité…
-Cette aridité est bien montrée dans la fiction. La mère qui creuse la terre, l'arrose de temps à autre…
Oui, elle le fait sans arrêt. Elle veut faire revenir la vie. Elle est responsable de l'histoire tragique de ses enfants (Tarik, l'officier, est tué, alors que Ali rejoint le maquis islamiste, ndlr). Elle a abandonné la terre et élevé ses enfants d'une manière tordue, dingue. Elle revit et la terre revit avec elle. On voit les plantes repousser, renaître.
-Toujours dans l'affiche, on voit bien que la mère traîne la mort derrière elle, le brancard portant le cadavre de son fils Tarik qu'elle va enterrer à côté de la maison.
Elle traîne la mort et elle en est responsable. Il y a toujours quelque chose dans le destin. Le père est absent. Je ne me suis jamais posé la question pourquoi. On ne sait pas qui est le père du bébé (ramené par Ali du maquis et prétend en être le géniteur, ndlr).
-Il y a de l'ambiguïté…
Il y a effectivement de l'ambiguïté inconsciente. Ouardia n'a pas de rivale. Elle est comme un monument, responsable de tout ce qui se passe. Elle dispose de ses deux fils comme elle l'entend. Elle les a fabriqués. Et, elle a échoué. A la fin du film, elle pleure, pleure sur elle-même, sur ce qu'elle a fait. Elle ne se pardonne pas. Elle n'arrive même pas à pleurer normalement. Elle ne pardonne rien. A personne.
-Et d'où vient cette aridité ?
De la tragédie. Je pense que l'Algérie est un pays très dur avec ses enfants, ses citoyens. Il y a une violence exercée contre soi et contre les autres. Parler de la violence extrême et de la manière dont elle s'exerce fait partie de mon univers fantasmatique. J'essaie tout le temps de comprendre le mécanisme de la violence. Dans Yéma, la mère est violente envers elle-même et envers ses enfants. Dans mes travaux, on rencontre des sentiments violents. Cette terre méditerranéenne engendre ce genre de sentiments. Cela existe dans l'histoire. Mes références ont toujours été les mythes grecs. La violence est également énorme dans l'histoire algérienne.
-Ce qu'a vécu l'Algérie dans les années 1990 relevait bien de la tragédie, pas forcément grecque.
Deux frères qui s'entretuent, c'est une tragédie. Il s'agit d'enfants de la même terre. Il n'y a rien de pire que cela. Lorsque existe un ennemi extérieur, les choses deviennent plus simples. Pas quand la tragédie s'exprime à l'intérieur de la même famille. Cela laisse des séquelles monstrueuses.
-Chez vous, il n'y a pas de pardon.
Parce qu'il faut aller jusqu'au bout de la tragédie. Le jeune gardien venu de nulle part (placé par Ali le terroriste à côté de sa maison parentale pour surveiller sa mère, ndlr) veut prendre la place du fils. Il a pris la place du fils dans la chambre, partage les repas de la mère de Ali… A la fin, il veut l'éliminer pour prendre sa place. La place du fils est problématique, on la réclame et n'est pas tout le temps acquise (…). La mère a toujours préféré Tarik et Ali est presque venu les déranger… C'est un peu existentiel pour Ali de s'exprimer par la violence. Politiquement, c'est autre chose. Etre militaire (comme Tarik) ou être islamiste (comme Ali), c'est différent. Il y a un affrontement pour le pouvoir. Les deux fils face à la mère représentent l'ordre et le désordre. Pour attirer l'attention de la mère, Ali est parti au maquis pour avoir un statut, un pistolet, un pouvoir… Qu'en est-il de la responsabilité de la mère ?
-Elle va probablement se rattraper avec le bébé ramené par Ali
Lorsque la vieille femme va vers la maison, le bébé l'appelle par ses pleurs, elle entre, le bébé se calme. On se dit qu'elle s'occupe de lui. Elle va rattraper les choses comme ça. Du moins, on l'espère…
-Vous avez choisi de situer l'histoire en pleine montagne, pas en ville. Cet isolement de la mère a-t-il une importance quelque part ?
J'insiste beaucoup sur l'imaginaire, l'histoire des individus. J'ai grandi dans un milieu paysan à Tazmalt (Béjaïa). Tous les gestes agricoles que vous voyez dans le film, je les connais bien. Les images se construisent dans l'enfance. Je suis habitée par ce genre de paysage. Cela était présent dans mes précédents travaux. Le paradis de la montagne est en moi. Je le reproduis souvent dans mes films. A l'intérieur se passent mes histoires. Les paysages sont beaux et les histoires tragiques. Enfant, je jouais entre les oliviers. Dans notre terre ocre, on cultivait les légumes. Je me souviens de tout cela.
-Pourquoi avez-vous complètement évacué la musique du film, mis à part le générique de la fin avec un chant aurasien cru de Houria Aychi ?
Une manière de permettre de garder à l'histoire son côté tragique. Tous les éléments du film concourent à créer une tragédie. Nous avons beaucoup travaillé sur le son pendant des semaines pour s'adapter aux bruits de saison. J'ai réfléchi à plusieurs musiques. Puis, je me suis dit non. Car mettre de la musique aurait signifié qu'on cherche la sympathie du spectateur, lui faire tirer des larmes, l'attendrir. J'ai décidé de montrer l'histoire telle qu'elle est, crue. Crue et radicale. L'expression de ce choix s'est faite à travers le découpage, les décors, l'image, le son, la lumière, le montage… Je peux comprendre que des spectateurs peuvent ne pas aimer ce genre de films.
-Le dialogue est également à son niveau minimal, économique.
Pour moi, le cinéma, c'est le jeu des acteurs et l'image. Le texte vient après. On peut presque s'en passer. A chaque fois que c'était possible, je l'ai fait. Si l'on comprend bien par l'image, on n'a pas besoin d'expliquer.
-Vous plaidez donc pour un certain cinéma du silence.
C'est cela que j'aime. Le cinéma, ce n'est pas du blabla. Bavarder sans cesse n'est pas du 7e art à mes yeux.
-Y avait-il un déclic qui vous a ramenée vers ce scénario, cette histoire ?
Pas de déclic, mais de petites idées, une par-ci, une par-là. Dès le début, j'ai pensé à une phrase de Victor Hugo qui avait écrit sur la terreur en France : «Sur cette terre arrosée de tant de sang, de tant de larmes, de tant de sueur, de tant de souffrances accumulées …». Dans Yéma, la mère arrose la terre. Elle verse de l'eau comme pour calmer les souffrances de la terre. Elle essaie de faire revenir la vie pour oublier ses souffrances (…). Ce que j'ai fait dans le film vient de la tragédie grecque, de la situation algérienne, de Victor Hugo. Au bout d'un moment, lorsqu'on a lu, vu et entendu des choses, tout se met en place et les images reviennent.


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