Ainsi qu'il fallait sans doute s'y attendre, les manifestations hostiles au président Mohamed Morsi se sont étendues hier à d'autres grandes villes égyptiennes. Depuis sa décision prise jeudi dernier de renforcer «provisoirement» ses pouvoirs afin, a-t-il dit, d'engager des réformes de fond, l'Egypte vit au rythme d'une protesta qui rappelle en de nombreux points la révolte populaire qui a mené à la chute de Hosni Moubarak en février 2011. D'entre tous les nouveaux pouvoirs que M. Morsi s'est accordé, c'est celui qui a consisté à mettre à l'abri la commission chargée de rédiger la future Constitution des «interférences» de la justice qui a mis le feu aux poudres. La raison ? Celle-ci est actuellement la cible de nombreuses critiques de la part des libéraux et laïques qui l'accusent d'être dominée par les islamistes. Sa composition fait d'ailleurs actuellement l'objet d'un recours devant la Haute Cour constitutionnelle. Malgré tous ces soupçons, le dirigeant de la commission chargée de rédiger ce texte controversé qui doit mettre en place les institutions de l'Egypte post-révolutionnaire a annoncé hier l'achèvement de la version finale du projet de Constitution. «Les débats sur le projet de Constitution seront terminés aujourd'hui (hier, ndlr), et doivent être suivis par un vote», a indiqué froidement Ahmed Darrag, secrétaire général de la commission constituante, dans un communiqué publié par l'agence Mena. Hossam Al Ghariani, qui préside cette commission dominée par les islamistes, a appelé quant à lui libéraux, opposition et coptes membres de la commission qui avaient quitté les travaux à «revenir et terminer les discussions jeudi (aujourd'hui, ndlr)». Les Frères musulmans avertissent En dépit aussi du tollé général provoqué par son décret qui lui a valu d'être qualifié de «nouveau pharaon», le successeur de Hosni Moubarak ne veut toujours rien lâcher. Il semble même prêt à engager un bras de fer avec l'opposition, prenant ainsi le risque de faire sombrer l'Egypte dans une grave crise politique. Après une rencontre avec la hiérarchie judiciaire lundi, destinée à désamorcer la crise, M. Morsi a, en effet, maintenu le décret par lequel il s'est autorisé à prendre toute mesure jugée nécessaire pour «protéger la révolution». Unique inflexion apparente, seuls ses «pouvoirs souverains» sont hors d'atteinte des juges, a dit la Présidence, laissant entendre que les décisions de routine pourraient être soumises aux magistrats. Cela n'a toutefois pas été suffisant pour calmer la rue qui réclame l'annulation pure et simple du décret renforçant ses pouvoirs. En réponse justement à l'entêtement du nouveau pouvoir égyptien qui est accusé de vouloir instaurer un régime autoritaire, l'opposition a décidé de poursuivre son mouvement de protestation. La Cour de cassation a, de son côté, annoncé la suspension de ses travaux jusqu'à ce que cette décision soit annulée. Sur le terrain, l'atmosphère était particulièrement tendue au Caire où des heurts ont eu lieu dans la nuit de mardi à mercredi dans les rues environnantes de la place Tahrir avant de s'y propager le matin. Les forces de l'ordre ont tiré hier des gaz lacrymogènes sur les manifestants. Depuis le début des troubles, trois personnes ont déjà été tuées dans des heurts entre policiers et manifestants ou entre protestataires des deux camps rivaux, selon des sources médicales. Des dizaines d'autres ont été blessées. Mardi, des dizaines de milliers d'Egyptiens se sont, rappelle-t-on, rassemblés place Tahrir au Caire pour protester contre la décision de Mohamed Morsi de s'octroyer des pouvoirs exceptionnels. Il s'agissait de la plus forte mobilisation hostile au président islamiste depuis son élection en juin. De son côté, la puissante mouvance des Frères musulmans a envoyé plusieurs signaux indiquant qu'elle n'est pas prête à lâcher Mohamed Morsi. Pour éviter des affrontements avec l'opposition, celle-ci avait renoncé mardi à sortir dans la rue. Elle prévoit toutefois de le faire samedi au Caire. D'ores et déjà, les militants du parti salafiste Al Nour ont annoncé qu'ils seront de la partie. Divisée en deux, l'Egypte s'achemine donc inexorablement tout droit vers une impasse constitutionnelle. L'inconvénient est qu'aujourd'hui, il n'y a plus personne pour arbitrer. C'est ce qui, justement, fait craindre le pire.