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les négociations ben bella - FFS de 1965 (Maquis de kabylie) : l'ombre de Omar Oussedik
Histoire : les autres articles
Publié dans El Watan le 16 - 12 - 2012

En 1965, Omar Oussedik, ambassadeur à Sofia (Bulgarie), avait été désigné par son ministre des Affaires étrangères, Abdelaziz Bouteflika, pour une longue mission, qui devait le mener en République populaire de Chine, dans l'Union indienne, au Pakistan, en Mongolie et en République populaire de Corée (Corée du Nord), et ce, dans le cadre de la préparation de la 2e Conférence afro-asiatique, prévue à Alger pour la dernière semaine du mois de juin, et qui ne se déroulera jamais.
Le même jour, l'ancien secrétaire d'Etat à la Guerre, au sein du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) entre 1958 et 1960, qu'il avait été, recevait une convocation de la part du président de la République, Ahmed Ben Bella, en personne. Le chef de l'Etat lui demandait de surseoir instamment à la mission qui lui avait été confiée par le ministre des Affaires étrangères et donc de renoncer au périple asiatique. Omar Oussedik qui ne s'étonnait de rien, connaissant parfaitement le personnel politique de l'époque et même d'après, et son goût particulier pour l'improvisation, n'a pas sourcillé quand Ahmed Ben Bella le chargeait d'une tâche délicate d'entre toutes, auprès des responsables du Front des forces socialistes (FFS).
Le lendemain donc, Omar Oussedik se rendit auprès de son supérieur pour l'informer du changement de programme. «Le Président m'a chargé d'une mission et toi d'une autre, il faudrait peut-être voir pour vous accorder», lui dit Omar, connaissant d'avance la réponse de son hiérarque.
- Il est le chef de l'Etat, tu obéis, lui fut-il répondu, non sans une pointe acide de fatalité
- OK. l'Asie attendra donc, dit Omar accommodant.
Ce dernier devinait que Bouteflika était intrigué par la décision de l'envoyer, lui qu'il savait pourtant habile négociateur vers le FFS, de surcroît un Kabyle et en plus un des tout premiers maquisards qui avait hanté les crêtes du Djurdjura. Omar était en effet l'hôte des maquis kabyles depuis 1945. On le surnommait «vouthkelmount», (l'homme au capuchon).
Sans avoir l'air d'y toucher, mais très attentif à la réponse qu'il allait lui donner, Bouteflika s'inquiéta :
- Quel est son objectif ?
- Son objectif ?
- Oui. Quel but poursuit le Président en t'envoyant chez les gars d'Aït Ahmed. D'autant que celui-ci a été arrêté, jugé et condamné et qu'il attend, maintenant en prison, son exécution
-C'est évident qu'il veut stopper définitivement le FFS, ou du moins ses résidus qui présentent encore une capacité certaine de nuisance. Autrement dit, il a besoin d'un curetage politico-militaire pour arriver à la Conférence afro-asiatique à la tête d'un pays apaisé, calme, stable, tranquille et un peuple uni autour de sa personne... Ce n'est qu'après qu'il s'occupera de vous...
- Qu'est-ce qui te fait penser «qu'après il s'occupera de nous ?»
- Dans son esprit c'est réglé comme du papier à musique, répondit Omar avant de lui rappeler : il a liquidé le GPRA, les wilayas, toutes les personnalités qui pouvaient présenter une gêne quelconque, telles que Khider, Bitat, Boudiaf, Krim, etc. Maintenant, il veut en finir avec le FFS et calmer les Kabyles. Il ne lui restera plus que l'ANP. C'est donc votre tour qui s'annonce.
Bouteflika relève la tête et se cale dans son fauteuil ministériel, en regardant droit Oussedik, il lui demande :
- Et toi ?
- Comment moi ?
- Qu'est-ce que tu vas faire ?
- Il m'a demandé de contacter les gars du FFS, je vais donc aller à Paris pour...
- Je ne parle pas de ça... Est-ce que cela signifie que tu prends position contre nous ?
- Oussedik feint de n'avoir pas bien saisi :
-Comment ça contre vous ? Qui vous ? N'êtes-vous pas ceux qui l'avez amené et installé là où il se trouve ? C'est vous qui le protégez.
Mais depuis quelque temps il voit en vous une menace. Alors de deux choses l'une, ou bien il vous écarte et il restera seul avec des pouvoirs incommensurables, et il lui sera facile de vous «liquider», ou alors vous le devancez et là, bien évidemment, vous sauvez votre peau. Sans parler des nouvelles perspectives qui s'ouvrent devant vous. Pour ce qui concerne la mission dont il m'a chargé, n'êtes-vous pas tous unis contre le FFS ?
C'est ainsi que Omar Oussedik se rendit à Paris où il s'est mis, dès son arrivée, en quête de Slimane Dehilès (dit Si Sadek). Il connaissait bien le colonel Si Sadek, qui avait succédé, en 1957, à Amar Ouamrane à la tête de la Wilaya IV. Le commandant Omar Oussedik (Si Tayeb) avait été un de ses meilleurs cadres. Mais son ancien officier demeurait introuvable ou du moins intouchable, «couvé» qu'il était par une sa garde prétorienne et d'autres qui voulaient à tout prix, pour des raisons avouables ou non, empêcher la rencontre entre les deux hommes.
Mais usant de ruse et de roublardise, il parvient à son but. Aussitôt l'entrevue concrétisée et comme un boxeur qui veut «kaoter» son adversaire dès le premier round, Omar n'y va pas par quatre
chemins : «Ben Bella et Boumediène vont s'affronter à couteaux tirés jusqu'au finish. Mais il veut, avant cela, en finir avec vous. Autrement dit crever l'abcès.» Si Sadek est cueilli à froid par le jab d'Oussedik.
- Et alors ?
- Et alors... Et alors... Tu ne penses pas qu'il vaut mieux pour tout le monde que vous vous arrangiez afin qu'ils aient enfin leur match ?
Le cadre du FFS savait parfaitement à qui il avait à faire. Il connaissait depuis longtemps le redoutable politicien qu'il avait en face de lui. C'est la raison pour laquelle il lui donnera carte blanche pour contacter ses amis encore restés dans les maquis en Algérie.
Au sixième jour, Omar rentrera à Alger. Rencontrant Bouteflika, il lui transmettra les «salutations cordiales de chaïb rass» (chauve).
- Tu es en train de faire du marketing «ya Si Omar! ».
Je ne saurai dire si l'émissaire de Ben Bella et l'ancien proche de Boumediène ont échangé d'autres propos, ou si le second voulait en savoir plus quant aux résultats de la mission du premier. Quoiqu'il en fut, le rapport que fit ensuite Omar Oussedik, au siège de la Présidence, à la villa Joly, de sa visite parisienne et de sa rencontre avec Si Sadek avait de quoi apaiser les craintes du chef de l'Etat et, bien plus, de le tranquilliser quant aux intentions politiques du chef du FFS : «Il te dit son souhait que la Conférence afro-asiatique réussisse». Il faut, m'a-t-il confié que : «Ben Bella parle au nom de tout le peuple algérien.»
Il demande, en retour, une solution qui puisse garantir la dignité de tous les militants qui se trouvaient dans l'opposition. «Ce qui nous intéresse au plus haut point : c'est la Révolution», m'a assuré le colonel Si Sadek.
Ben Bella, qui se trouvait avec Ali Mendjeli, a bien évidemment écouté avec une attention toute particulière le rapport d'Oussedik. Les deux hommes ont reçu le message avec une certaine émotion complimentant à l'unisson l'ancien colonel de la Wilaya IV pour son «patriotisme» et son sens «des intérêts de l'Etat».
Sans perdre de temps, dès le lendemain de son retour en Algérie, Omar accompagné de Salah Chellik, un ami commun à Si Sadek, se rendirent dans la région de Tizi Ouzou où ils avaient rendez-vous avec Si Abdelhafid Yaha. Ce dernier est un maquisard de la première heure de la Wilaya III. Il était, avec la création de la rébellion du FFS, le responsable des maquis.
Omar Oussedik, fort de la carte blanche que lui avait donnée le colonel Si Sadek lors de leur rencontre parisienne, n'a pas eu beaucoup de mal à convaincre Abdelhafid Yaha, que malgré sa position de médiateur, il penchait plutôt de son côté.
C'est ainsi que le jour même, vers 17h, un passeport a été délivré à Si Abdelhafid par les autorités de Tizi Ouzou. Toutefois, Omar Oussedik a refusé de se rendre à Alger de peur de tomber sur un barrage militaire. D'autant plus que vis-à-vis de l'armée, Si Abdelhafid était toujours considéré comme «un hors-la-loi». Après un nouveau compte rendu de mission au président de la République, Omar a été autorisé à se rendre, en compagnie de Si Abdelhafid, dans la capitale française, afin d'y rencontrer Si Sadek. Une délégation a été constituée et désignée par Ben Bella. Elle était composée de trois personnalités : Si Zoubir Bouadjadj, membre des 22, Aït Hocine membre du Bureau politique (BP) et Mohamed Lebjaoui, ex-membre suppléant du 1er CNRA, issu du Congrès de la Soummam. Au-dessus de toute autre considération politique, il faut dire que Omar Oussedik souhaitait de toutes ses forces que la guerre se termine en Kabylie.
Pour cela, il a employé tous les moyens possibles et imaginables afin d'y parvenir. Prenant en aparté Aït Hocine, membre du BP, il lui
confie : «Ecoute, tu es membre du BP, tu es originaire de la Kabylie, il faut que toute la région t'accorde sa confiance et t'apporte son appui. Pour cela, il est nécessaire que tu préserves la dignité des gars du FFS et tu verras, tout le monde sera derrière toi.» Galvanisé par les assurances de Omar, Aït Hocine s'engage dans la démarche que lui proposait l'ancien commandant de la Wilaya IV.
Puis ce fut au tour de Zoubir Bouadjadj de rencontrer en tête-à-tête Oussedik qui lui dit :
-Toi, tu es un homme du 1er Novembre ?
- Bien-sûr
-Les compagnons avec qui tu es aujourd'hui sont arrivés bien après n'est-ce pas ?
- Oui
-Si Sadek et Abdelhafid sont du 1er Novembre comme toi. Est-ce que tu peux accepter que des gens comme ça rentrent la tête basse et l'air confus ?
-Ah ça non !
Omar s'est gardé de la même démarche avec Mohamed Lebjaoui. Ces trois hommes, militants de la première heure, avaient été choisis par Ben Bella. La délégation du FFS était composée de Si Sadek, Si Abdelhafid, Mohand Akli Benyounès dit «Daniel», ancien responsable zonal de la Fédération de France, et de «Rouget» un gars de Jijel. La négociation s'est déroulée dans l'appartement de Me Mourad Oussedik,
un avocat du Collectif des défenseurs du FLN à Paris, un cousin de Omar et qui, comme lui, n'était pas impliqué politiquement avec l'une ou l'autre des parties. Après plusieurs heures de pourparlers, Omar s'adresse aux plénipotentiaires de Ben Bella :
-Il faudrait que tous ceux qui sont morts des deux côtés soient considérés comme des martyrs
-D'accord
-Que leurs veuves et leurs enfants touchent une pension
-D'accord
-Il faut que tous les détenus soient libérés
-D'accord
-Il faut que tout le monde reprenne son travail
-D'accord
-Ceux qui ont été nationalisés reprendront leurs biens
-D'accord.
Puis à la fin, Omar demande la rédaction d'un communiqué commun pour sceller les travaux. Lebjaoui répond : «Je pense que ce n'est pas nécessaire, le FFS va lancer un appel résumant les pourparlers et les points d'accord et, de son côté, le FLN en fera autant et lancera son appel et tout le monde sera content.»
Omar répond : «Non, des chefs d'Etat vont arriver, il faut rassurer tout le monde.»
-Ni Sadek, ni Benyounès, ni Abdelhafid, ni Rouget ne voient l'utilité du communiqué commun, rétorque Lebjaoui.
Omar se retourne vers Zoubir et Aït Hocine et leur dit :
-N'est-ce pas qu'un communiqué commun est nécessaire ?
-Bien sûr qu'il faut ce communiqué commun. Nous souhaiterions à cet effet que tu le rédiges Omar.
Stylo en main, ce dernier s'est mis sur- le-champ devant une feuille : «Le FLN et le FFS décident de mettre fin aux hostilités et appellent tous les militants révolutionnaires à se mobiliser pour la lutte contre la contrerévolution, etc. »
Omar rentre à Alger en compagnie de Abdelhafid Yaha et Mohand-Akli Benyounès. Dix mois auparavant, Omar Oussedik avait intercédé en ma faveur ainsi que de Boualem Oussedik, ancien officier de la Wilaya IV et ancien député de la Constituante, alors que nous nous trouvions en résidence surveillée, moi à Tamanrasset et Boualem à Timimoun. Omar Oussedik avait émis le vœu de nous accueillir à Sofia, où il était ambassadeur, tout en se portant garant. Ben Bella lui avait répondu : «Viens me voir dans huit jours.»
Lorsque Omar s'est rendu au rendez-vous fixé, Ben Bella sur le pas de la porte de son bureau le refroidit :
-Qu'est-ce que tu viens faire ?
-C'est pour votre réponse au sujet de Boualem et Azzedine
- Je n'ai rien à dire, ajoutant du haut de son autoritarisme : «fout le camp !»
Omar après en avoir informé Bouteflika lui demande d'allonger un peu son congé. Ce dernier lui a dit : «Va à Cannes, va à Nice, va dans n'importe quelle boîte de nuit, mais va-t-en ! Tu t'imagines un ambassadeur arrêté, ça va être le premier du genre, et moi ce genre de publicité, je n'en veux pas ! »
Omar ne se l'est pas fait répéter. Dare-dare, il a pris le premier vol venu et m'avait-il avoué, «c'est en survolant la péninsule italienne, que je me suis senti hors d'atteinte de la vindicte présidentielle».
Pourtant lorsque Omar était revenu de Paris avec l'accord de Si Sadek, et avant d'aller au maquis pour contacter les militants du FFS, profitant de cet avantage, il est revenu à la charge et a redemandé à Ben Bella notre libération.
Ben Bella, cette fois-ci, lui a répondu sur un autre ton et d'une autre manière, plein de déférence : «Ne t'inquiète pas, je te les donne et puis pourquoi je vais les garder, ce sont des militants après tout.»
C'est à Paris, pendant les négociations FLN/FFS, dont j'ai rendu compte précédemment, que Omar reçut un coup de téléphone qui l'a informé de notre libération. «Azzedine sera à Alger tel jour, à telle heure.»
Omar appelle Salah Chellik : «Va à l'aéroport et dit à Azzedine de ne rien déclarer à la presse, de se taire et surtout ne le lâche pas d'une semelle, car je connais cette tête de mule. Qu'il m'attende, j'ai beaucoup de choses à lui dire.»
Au retour de Omar de Paris avec les gens du FFS, il vint me voir et m'informer que la situation évolue «positivement», je compris qu'il voulait dire que «ça va éclater» et qu'«il poussait dans ce sens».
Il m'a dit également que sa préférence allait «vers les militaires plutôt qu'à Ben Bella».
«Cet homme est machiavélique», me dit mon ami, «il a accédé à ma demande de te libérer, mais il a gardé Boualem dans ses geôles. C'est un moyen pour lui d'exercer des pressions sur nous».
Pour l'anecdote, quelque temps avant le 19 juin, Mustapha Fetal, qui était alors le préfet de police de Ben Bella, s'était rendu à Timimoune afin de sonder les détenus Amar Bentoumi, ancien ministre de la Justice et Boualem Oussedik. Fetal a demandé à Boualem pour avoir son point de vue : «Qu'en penses-tu, quel est ton avis ?» Boualem a répondu que pour ce qui le concerne, il se trouvait «très bien à Timimoun».
Omar en rentrant à Alger, avec la délégation du FFS, a rencontré Aït Hocine à l'aéroport et lui a dit : «Je n'ai pas de message spécial à transmettre au Président, tu as bien constaté que Si Sadek a été plus que chaleureux et il n'a pas changé d'avis. Pour ma part, je vais rejoindre mon poste d'ambassadeur et ce serait bien que ce soit toi qui fasses le compte rendu. Après tout, tu es membre du BP.» Cette suggestion a plus que convenu à Aït Hocine, qui n'en demandait pas plus.
Omar se rend auprès de Bouteflika et lui présente le communiqué signé par les délégations du FFS et du FLN. Communiqué qui avait été rendu public le jour même. A la vue du document, il fit un bond que lui aurait envié l'athlète soviétique Valéry Brumel, alors champion du monde de saut en hauteur :
-Quoi ? Un communiqué commun avec une organisation illégale ?
-Oui, répondit Omar imperturbable feignant de n'avoir pas remarqué l'étonnement de son ministre.
-Mais Omar, c'est contre le principe du parti unique !
-Avant de partir d'ici, et tu le sais, je t'ai dit que je ne suis pas concerné par le FLN. J'ai des amis en face et mes amis, je les défends. J'ai réussi à faire passer le communiqué commun à ton membre du BP, j'ai eu aussi Lebjaoui. C'est moi qui ai poussé à la confection et l'adoption du principe du communiqué commun et je l'ai fait pour mes amis, parce que leur dignité me concerne et je m'en suis senti responsable
-Je ne peux te blâmer pour ça. Bien au contraire, je voudrais compter sur ton amitié dans des moments difficiles, lâcha Bouteflika.
-Jusqu'à présent, nous nous entendons bien. De plus, mon amitié t'est acquise. Et Omar d'ajouter : -Mais à cette condition, laquelle me paraît du reste une évidence... il est nécessaire que cette entente repose sur la réciprocité.
-Est-ce que Si Sadek a changé d'opinion ? S'enquit Bouteflika.
- Non.
Désireux d'approfondir la conversation, le MAE de Ben Bella invite Omar : «Ecoute, pour une discussion plus sérieuse, je te propose que nous allions chez moi.» En se rendant à l'appartement de Bouteflika, sur les hauteurs de la ville, Omar passa me prendre pour aller à son rendez-vous. Une conversation longue, qui allait durer quatre heures environ, s'est engagée. Nous serons rejoints plus tard par Chérif Belkacem, premier questeur de l'Assemblée constituante, membre du Comité central du FLN et ministre de l'Orientation nationale. Il était accompagné de Kaïd Ahmed, ministre du Tourisme, démissionnaire mais toujours député à l'Assemblée. Je connaissais bien Kaïd Ahmed, puisque nous étions tous deux adjoints de Boumediène, avec Ali Mendjeli, à la tête de l'état-major général durant la guerre de Libération. Le troisième personnage, qui arriva vers la fin de notre conversation avec Bouteflika, était Ahmed Medeghri, un autre proche de Boumediène, plutôt très discret et qui occupait la fonction de ministre de l'Intérieur et a également démissionné publiquement en 1964, pour marquer son opposition à la politique de Ben Bella.
Dès que nous nous sommes retrouvés chez lui, Bouteflika, avide de connaître l'opinion de chacun sur la situation qui prévalait, posait une question sur une autre. J'avais l'impression que parfois il savait à l'avance ce que nous allions lui dire.
- Comment voyez-vous la situation ?
C'est Omar Oussedik qui analyse avec cette précision le caractérisant :
-Maintenant les choses sont très claires. Vous allez être arrêtés le 25 juin, autrement dit le jour de l'ouverture de la Conférence afro-asiatique. Ben Bella va se lever pour dire : «Un complot vient d'être déjoué, l'armée est impliquée, les responsables sont Boumediene, Bouteflika, Kaïd Ahmed, Chérif Belkacem et d'autres...»
-Quels sont tes éléments d'information ?
-Voilà, l'armée égyptienne a renforcé ses positions à Boufarik (base de l'aviation militaire), de plus, il y a une partie de la marine de Nasser qui se dirige sur Alger en provenance d'Alexandrie pour soi-disant, une visite officielle...
Je précise que durant les quatre heures de discussion, notre hôte avait mis de la musique classique afin d'empêcher ou de parasiter les écoutes éventuelles.
Omar poursuivit son intervention par une description des forces en présence et des réactions probables :
-Commençons par la Wilaya III : elle ne bougera pas pour défendre Ben Bella. Il en sera de même pour la Wilaya II, ainsi que la wilaya IV. Quelques réactions peut-être en Wilaya V, mais sporadiques et velléitaires, bref, sans grande importance. Quant à la wilaya VI, elle ne bougera pas pour les raisons que tu sais : le colonel Chaâbani ayant été exécuté. Khider, en exil genevois, multiplie les déclarations hostiles au Président ainsi que les multiples arrestations de militants. La Wilaya I ne bougera pas aussi. En revanche, le danger viendra d'Alger. Vous n'y avez pas de base populaire. Et si Alger bouge, attention, il y a risque de propagation.
- Et alors ?, s'inquiéta Bouteflika.
- Alors, la meilleure façon de faire échouer son complot et de le renverser, c'est d'aller au-devant des demandes du FFS et d'appliquer honnêtement les accords conclus. Il faut aussi commencer par dégager les troupes de l'ANP se trouvant en Kabylie.
-Je voudrais vos numéros de téléphone, nous demanda le ministre des AE.
Après cette rencontre Omar et moi avons dîné à El Biar, puis nous nous sommes dirigés chez Bachir Boumaza, membre du BP du FLN et à la tête d'un super ministère depuis 1963, qui regroupait l'Economie, les Finances, le Commerce et l'Industrie. Ce dernier était l'homme du Président, mais Ben Bella a voulu le relever de son poste au profit de Medeghri. Ce dernier a refusé tout en le faisant savoir à Bachir Boumaza. Celui-ci avait déclaré à Omar Oussedik : «Si jamais on m'apprend qu'il y a une embuscade qui est montée contre Ben Bella, même si je suis dans le convoi, et au risque de laisser ma peau, je ne l'avertirai pas.»
Pour la petite histoire, pendant mon séjour forcé à Tamanrasset où j'avais été expédié par Ben Bella, pour des raisons que j'ignore encore, Bachir Boumaza s'était montré d'une grande correction avec ma famille, et il a même délivré à ma sœur un billet d'avion gratuit avec une autorisation de me rendre visite dans la capitale du Hoggar. Malgré certaines divergences politiques, je lui ai toujours été reconnaissant pour ce geste humanitaire.
Pour revenir à notre propos, nous arrivons donc chez Bachir Boumaza, ce dernier a été d'une très grande franchise avec moi en me disant : «Lorsque tu as été arrêté, je n'ai pas bougé le petit doigt pour ta libération, mais aujourd'hui je suis heureux de te voir.»
Le 11 juin 1965, un peu plus d'une semaine avant le coup d'Etat, Ben Bella après avoir reçu un président africain à Tamanrasset a demandé à me voir en me disant entre autres : «Ce sont tes anciens amis de l'EMG (état-major général), qui m'ont induit en erreur. Mais une fois à Alger, je réparerai ça.» De toute évidence, il voulait comme on dit «me mettre dans sa poche».
Quand nous avons donc rencontré Bachir Boumaza à son domicile, quelques jours avant le 19 juin, nous avions eu une petite discussion alors qu'il s'apprêtait à sortir, et il nous posa quelques questions. Il voulait avoir des nouvelles des gens du FFS : «Comment va Si Sadek ? Quel est votre sentiment sur la situation ? Car moi cela fait quelques jours que je n'ai pas vu Ben Bella.»
Encore une fois, Oussedik s'est collé au débriefing : «Le colonel va bien et il te salue. J'ai beaucoup de choses à te dire. Il y a quelques jours, nous avons vu les frères Bouteflika, Chérif Belkacem, dit Si Djamel, Medeghri et Kaïd Ahmed. Je ne te retiens pas, va à ton rendez-vous mais n'oublie pas que Ben Bella a voulu te sacrifier pour faire plaisir aux militaires.»
Je constatais qu'il portait une arme de poing au ceinturon et que sur lui veillaient 18 miliciens, tous de sa région (Kherrata), prêt à faire feu pour le protéger.
De sa voix rocailleuse, Boumaza prévenait :
-Ça va chauffer, il va y avoir de la casse, faites attention.
Après cette discussion, Omar se tourne vers moi et me dit : «Essayons de disparaître.» Omar s'est orienté vers La Casbah et moi je suis tout bonnement rentré à la maison.
Le 19 juin vers 3h du matin, Bouteflika téléphone en vain à Si Omar. Celui-ci vient me prendre à 6h du matin. D'un commun accord, nous décidâmes de nous rendre aux Affaires étrangères, mais afin de prendre la température de la ville, nous prenons le chemin des écoliers à travers Alger qui s'éveille en cette splendide journée de juin. Voici la place des Martyrs, puis le square Bresson, fraîchement rebaptisé Port-Saïd par Ben Bella, lors de la première visite de Gamal Abdenasser dans notre capitale. Nous avons ensuite gagné la Grande-Poste, puis le siège de la Radio nationale. Partout les blindés de Boumediène et du Conseil de la Révolution avaient pris position. La radio serinait toutes les heures le communiqué militaire n°1et les appels au calme.
Puis nous sommes passés chez Abdelmadjid Benaceur, nous lui avons dit de prendre ses précautions et de quitter sa maison, puis de là, nous nous sommes dirigés vers le ministère des AE. Bouteflika était là.
Plutôt content que surpris de nous voir, Bouteflika invite Omar à faire partie du comité de rédaction du communiqué qui allait proclamer la prise de pouvoir par le Conseil de la Révolution, que devait lire au 20 heures son président, le colonel Houari Boumediène.
-Pas de problème, accepta Omar, mais, ironisa-t-il, vous avez déjà une équipe merveilleuse occupée à préparer le discours d'ouverture de Ben Bella pour la Conférence des chefs d'Etat.
Bouteflika passe un coup de téléphone. Hadj M'hamed Yala, ancien ambassadeur à Conakry (1963) et à Pékin (1964), et Abdelmalek Benhabylès, ancien secrétaire général du MAE (1963-1964), puis ambassadeur au Japon (1964- 1967), qu'on surnommait «Socrate», voient arriver vers eux les militaires, croyant que c'étaient en liaison avec leurs écrits. Bouteflika les reçoit et leur dit : «Il faut faire un appel. Ils ont rédigé le discours (seuls ou avec d'autres ?).»
En sortant de chez Bouteflika, on apprend qu'il y avait des foyers de résistance à Alger. Nous décidons de nous rendre auprès de Boumediène, lequel nous reçoit sur-le-champ.
-Omar : Tu as pris le pouvoir, félicitations, mais Alger résiste,
-Boumediène : et alors ?
- Omar : il faut maintenant que les motions de soutien arrivent,
-Boumediène : qui doit les faire ?
-Omar : la première doit être la Wilaya III,
-Boumediène : c'est une très bonne idée, si vous pouvez la mettre en application. Allez voir Kaïd Ahmed à la radio pour qu'il vous rétablisse le téléphone.
Mais revenons un peu en arrière, Omar avait réuni les gars du FFS et certains du FLN, lorsqu'il avait fait descendre les gars du maquis. Il leur avait dit, Ben Bella et Boumediène vont se déchirer à mort, je vous demande de protéger la Kabylie, elle mérite la paix. Ils ont pris l'engagement de laisser la Kabylie en paix.
Omar appelle Ahmed Zmirli, le préfet de Tizi Ouzou (les walis n'existaient pas encore), mais il était absent. Il appelle alors le responsable du parti, lui aussi n'était pas là, pas plus que le responsable de la milice ou le maire (délégation spéciale). Il tombe sur un petit responsable et Omar, après s'être présenté évidemment, demande qu'on lui envoyât quelqu'un de toute urgence. Moins d'une heure après qu'il eut raccroché, un homme se présente à Omar. Ce dernier lui remet un stylo et lui dicte la motion de soutien au Conseil de la Révolution, déclaration qui dénonce au passage le culte de la personnalité de Ben Bella, etc. Toutes les wilayas se sont alors cru obligées de suivre. Omar retourne ensuite voir Bouteflika et lui dit :
-Tu sais bien que la majorité de nos ambassadeurs sont des lèche-bottes de Ben Bella ?
-Oui bien sûr, répondit le MAE, connaissant parfaitement son personnel.
-Les ambassadeurs sont les représentants du chef de l'Etat, ils sont accrédités par le chef de l'Etat auprès d'autres chefs d'Etats. Sur le plan international, la meilleure façon de le liquider, c'est que les ambassadeurs retirent leur confiance à Ben Bella.
Omar, en tant qu'ambassadeur de l'Algérie auprès de la Bulgarie, rédige une motion de soutien de trois lignes. Mais ceux qui étaient réputés proches de Ben Bella ont écrit des demi-pages pour invectiver l'ancien chef de l'Etat.
Puis vint le drame de Annaba. Les manifestations populaires hostiles au putsch ont été durement réprimées et l'on a compté 4 morts, selon un bilan officiel.
Les «Ben Bellistes» ont fait circuler l'idée que le chef de l'Etat déchu «est un nationaliste qui s'était élevé contre le régionalisme». Que son renversement est intervenu à cause de «son accord avec les Kabyles», que cette armée est «une armée de division». Les initiateurs de la manifestation étaient convaincus qu'elle allait faire boule de neige.
Un chauffeur en provenance de Annaba apporte des nouvelles fraîches à Omar. Ce dernier en informe Boumediène de vive voix.
-Tout cela parce que tu n'as pas appliqué les décisions, celles de libérer les gens du FFS, lui reprocha Oussedik.
-J'ai donné ordre dans ce sens au ministre de la Justice.
-Il ne l'a visiblement pas appliqué.
Boumediène prend le téléphone et appelle Mohamed Bedjaoui, ministre de la Justice (1964-1971) :
-Qu'attends-tu pour libérer les militants du FFS ?
-Monsieur le Président, je prépare une loi d'amnistie, répondit le ministre respectueux des formes.
-Ta loi d'amnistie mets la où je pense. Tu es ministre, je te donne un ordre, es-tu prêt à l'exécuter, si tu n'es pas prêt, tu sors de ton bureau, je place quelqu'un qui les libère, répliqua Boumediène.
-Non, Monsieur le Président, ils seront libérés
-Tu avertis immédiatement la prison de Berrouaghia, ajouta-t-il avant de raccrocher le combiné.
-Omar avait écouté en silence l'admonestation, puis avant de prendre congé il demanda :
-Maintenant, est-ce que je peux aller voir Medeghri ?
-Tu as ma confiance, lui répondit le nouvel homme fort de l'Algérie.
Omar s'en va donc voir Medeghri et lui demande d'appeler le préfet de Médéa, pour lui demander de mobiliser tous les moyens de locomotion, taxis, autobus, camions. Il faut que les détenus de Berrouaghia arrivent ce soir à Alger. C'est ainsi que
2625 détenus furent libérés. Pendant ce temps, à Timimoun, Boualem Oussedik, toujours en résidence surveillée, était en train de conseiller au sous-préfet et au préfet de la Saoura de rédiger des messages de soutien à la nouvelle direction de l'Algérie. Ces responsables, hésitants, attendaient chaque jour de voir si la nouvelle situation était irrémédiable et si l'on ne s'acheminait pas vers un renversement de situation. Boualem Oussedik les prévenait : «Attention, chaque minute compte, vous prenez des risques en perdant du temps.»
Deux jours après, Omar s'en retourne voir Boumediène et l'informe que Boualem Oussedik se trouve toujours en résidence surveillée et que sa famille le tarabuste, pour qu'il obtienne sa libération.
Boumediène a demandé à la direction de la région militaire de s'occuper de ce cas, et de faire en sorte à ce que Boualem soit acheminé vers Alger par les moyens les plus rapides. Un avion a été mobilisé à cet effet.
Quelques heures après son arrivée, il lui a été demandé comme échange, s'il lui était possible de faire un communiqué de soutien à la junte.
Si Boualem s'y est volontiers plié et a déclaré qu'il adhérait «au programme figurant dans la déclaration du Conseil de la Révolution».
Par téléphone, le nouveau pouvoir demande à Omar de se préparer pour partir en Afrique, maintenant que Boualem est rentré chez lui, et de se rendre à la Présidence avec moi. Nous y trouvons Boumediène en compagnie de Bouteflika. Boumediène s'adresse à Omar :
-Tu disais qu'Alger est la région la plus sensible
-Je le pense toujours et les faits me donnent raison
-Ta mission en Afrique, peut attendre, je souhaite que vous vous occupiez de la zone d'Alger.
Boumediène voulait mettre à profit notre parfaite connaissance de la capitale, connaissance acquise notamment pour avoir dirigé la deuxième Zone autonome d'Alger et notre lutte acharnée contre les tueurs de l'OAS.
En sortant de chez lui, nous avons contacté les militants de la ZAA. En commençant par Si Mohamed Flici, qui avait été responsable du secteur de Saint-Eugène. Après avoir approché son staff, un communiqué de soutien au nouveau pouvoir a été adressé et communiqué à la presse. Ce communiqué a fait tâche d'huile et s'est étalé sur toute la capitale et sa région. La Fédération d'Alger s'était effondrée.
Une lutte âpre, heureusement sans effusion de sang, s'était engagée entre nous et les éléments fidèles au désormais ancien régime. Car n'oublions pas que cette fédération était lourdement armée. Notre tactique a consisté à ouvrir des brèches dans les organisations de masse, afin de les amener à perdre du temps et à colmater les dégâts que nous leur avions causés, alors que le temps s'écoulait et que chaque heure pour ainsi dire, voyait le nouveau pouvoir se renforcer. Beaucoup de militants rejoignaient les rangs des nouvelles autorités, qui par conviction, qui par calcul, qui par peur, qui par intérêt tout simplement.
Un grand militant de valeur que nous aimions beaucoup, Rebah Lakhdar est venu nous voir. Il y a eu entre nous un débat contradictoire, mais fraternel, sans arriver à un accord, nous lui avions dit :
-Vous êtes courageux, nous sommes courageux, vous êtes des patriotes, nous sommes des patriotes, vous êtes capables d'appuyer sur la gâchette, nous aussi, vous êtes pour Ben Bella, nous sommes contre lui. Mais si vous voulez qu'on se donne en spectacle devant une population qui continue à nous respecter, nous ne commencerons jamais les premiers à tirer sur nos anciens compagnons d'armes, mais nous nous battrons.
Nous avons eu gain de cause, car sur le plan politique on avait raison, mais il n'y a pas de quoi bomber le torse face à des compagnons de lutte. Notre sentiment était que Ben Bella était tellement sous l'influence du président égyptien, que s'il était resté au pouvoir il aurait fait de l'Algérie historique un satellite de l'Egypte. Il faut dire que le temps était aux «mariages d'Etat à Etat» et que si nous avions poursuivi la politique des épousailles en vogue, l'Algérie aurait fini comme une simple étoile dans un drapeau qui n'était pas le nôtre, avec un autre hymne que Qassaman, dont la Constitution de 1963 soulignait «le caractère provisoire». Le coup d'Etat réussi, il y avait toujours deux hommes en prison : Aït Ahmed et Si Moussa Ben Ahmed.
Le pouvoir a demandé à Omar de rendre visite à Aït Ahmed pour le mettre au courant de la nouvelle situation, et des accords conclus entre le FLN et le FFS. Omar a refusé sans donner d'explication. Ce sont Mourad Oussedik et Abdelhafid Yaha qui ont pris la relève.
Après le 19 juin, Aït Ahmed, qui se trouvait à Lambèse, a été transféré vers la maison d'arrêt de Maison-Carrée. Après la libération des 2625 détenus FFS, Abdelhafid est allé voir Aït Ahmed en prison pour lui dire que les autorités demandent la restitution des armes.
La réponse d'Aït Ahmed est la suivante : «La première négociation a eu lieu avec Ben Bella au pouvoir, elle a abouti à l'accord que nous savons. Ce dernier est arrêté, il faut recommencer les négociations pour discuter de la composition du pouvoir.»
A bien comprendre, le leader du FFS désirait que sa formation soit membre du Conseil de la Révolution et que ses éléments participent au gouvernement. Abdelhafid retourne voir Omar et lui dit :
-Quand vont-ils libérer
Aït Ahmed ?
-Je ne sais pas, répondit Omar, mais c'est sûr qu'ils le libéreront
- Car il faut absolument qu'il sorte de prison
- Oui, mais si vous faisiez une chose
- Laquelle ?
-Voilà, exposa Omar, le FFS a été constitué en opposition à Ben Bella, qui avait accaparé tous les pouvoirs, instauré le pouvoir personnel et multiplié les abus. Maintenant que Ben Bella est écarté et mis en état d'arrestation, ne penses-tu pas qu'il faut envoyer un message pour dire que vous êtes prêts à ouvrir un débat politique avec le Conseil de la Révolution ?
Abdelhafid a répercuté la suggestion d'Oussedik à Hocine Aït Ahmed, mais celui-ci a répondu par la négative et a privilégié la proposition de reprendre la négociation sur la composition du Conseil de la Révolution.
Abdelhafid en fait part à Omar.
Ce dernier lui rappelle :
- Ecoute, quand je suis venu te voir au maquis et lorsque tu en es descendu, ne t'avais-je pas dis que ça allait éclater entre les deux parties
- Oui
-Je t'avais aussi dit que si vous ne tombiez pas d'accord, je m'engage à te ramener au maquis
- Oui, reconnut Abdelhafid.
-Ce que j'avais prévu est arrivé, maintenant tu es libre, l'accord, je ne te l'ai pas imposé. Il a eu ton aval, il a eu aussi l'aval d'Aït Ahmed. Si vous voulez revenir sur vos négociations, moi, je ne suis pas le pouvoir et cette fois-ci débrouillez-vous seuls. Reprenez les négociations vous-mêmes.
Abdelhafid a éclaté en sanglots en disant :
- Mais qu'est-ce qu'il veut cet homme, notre liquidation ou quoi ? On n'a pas la possibilité de reprendre les armes.
Pendant un bon bout de temps, Omar faisait traîner les choses avec Chérif Belkacem, membre du Conseil de la Révolution. Puis un jour, ce dernier téléphona à Omar en lui disant de venir avec Azzedine. Chérif Belkacem s'adresse à Omar en lui disant :
-A compter d'aujourd'hui, tu es déchargé des contacts avec le FFS. Tu enveloppes trop. Nous préférons, Boumediène et moi, que cela soit Azzedine qui prenne les choses en main.
Etant assis à côté de mon ami, celui-ci répondit du tac au tac, devançant ma réponse, que cela était un bon choix tout en me pinçant sous la table afin que je me taise.
Après avoir pris en charge l'affaire, nous avons appris que dans la délégation du FFS, il y avait une taupe qui informait les services.
Nous avons appris aussi que Hocine Aït Ahmed, dans sa cellule, était sur écoute. Tout ce qui se disait était su par le pouvoir. Sachant que le FFS voulait sa part dans le gouvernement, ils ont laissé traîner, jusqu'à ce que Ben Bella soit totalement liquidé.
Puis un jour, Chérif Belkacem nous a appelé Abdelhafid et moi. S'adressant à Abdelhafid :
-Vous ne voulez pas rendre les armes comme stipulé dans les accords, d'accord. Nous, nous avons pris le pouvoir et nous ne reviendrons pas sur les décisions que nous avions prises.
Les hommes libérés resteront dehors, mais tout ce qui bouge ira en prison. Nous vous donnons huit jours pour rendre les armes, sinon, nous irons les chercher et nous savons où elles sont.
Abdelhafid rendit compte des derniers développements à Aït Ahmed, lequel de guerre lasse, sans doute, se résigna :
-Fais ce que tu veux, enjoignait-il
à son compagnon.
C'est avec beaucoup d'émotion qu'un jour me raconta Omar Oussedik :
-J'étais en poste à Sofia, lorsque j'ai appris votre arrestation (Boualem et moi) par Ben Bella.
J'ai décidé de quitter la Bulgarie pour rentrer sur Alger. Trois heures avant que je ne prenne l'avion, j'ai envoyé un message à Bouteflika pour lui dire que je viens pour consultation.
Un télégramme signé par Bouteflika tomba juste au moment où Omar s'apprêtait à partir vers l'aéroport de Sofia. «Je t'ordonne de rester en place, te convoquerais en temps opportun.» Quinze jours après il me convoque :
-C'est pour Si Boualem et
Si Azzedine, m'a dit Bouteflika
- Oui.
-Je ne voulais pas que tu viennes. L'atmosphère n'était pas très bonne pour toi. Tu peux voir les gens que tu veux. En ce qui me concerne, je suis d'accord pour que tes amis soient mis en liberté immédiatement. Si tu as du temps à perdre et tu veux voir Boumediène et les autres, tu es libre de le faire.
Omar a fait effectivement le tour des décideurs. Tous les décideurs, sans exception, étaient tous en accord avec lui, mais aucun n'a bougé !


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