Les télés algériennes, publiques et privées, ont montré, à l'occasion de la visite du président français en Algérie, leur grande incapacité à se mettre, médiatiquement parlant, au niveau d'un tel événement. Si l'ENTV est restée fidèle à sa démarche qui consiste à ne jamais prendre en amont la liberté –ou l'initiative — d'analyser sous ses multiples facettes un sujet qui appartient d'abord à la sphère officielle, les chaînes privées pour la plupart ont fait pire en occultant carrément une actualité qui pourtant a été abondamment commentée de l'autre côté de la Méditerranée. C'est à se demander si une telle visite, à laquelle les médias lourds français ont accordé une attention particulière en essayant d'aller au fond des choses, notamment en ce qui concerne les registres considérés comme de véritables contentieux politiques ou économiques, n'avait pour nous rien de spécial qui puisse susciter de la part de nos entreprises audiovisuelles une implication plus prononcée dans la recherche du décryptage d'une relation qui ouvre toujours, par son caractère passionnel, un large champ à la réflexion. En d'autres termes, si les télés hexagonales font l'effort d'approfondir cette réflexion pour permettre à leur opinion de mieux comprendre la situation et les enjeux qui découlent d'un voyage présidentiel préparé à l'avance pour des objectifs précis, les nôtres apparaissent en décalage par rapport à l'importance de l'événement, souvent il faut le dire par manque flagrant de professionnalisme. Les exemples de ce déphasage sont multiples. Au moment où les médias français partent à la recherche de l'information qui compte, en n'hésitant pas à traiter les sujets sensibles qui font objet de discorde, à donner aussi la parole à ceux qui sont susceptibles d'aider à la compréhension des motifs ou des motivations qui font que les relations algéro-françaises —dont on prédit toujours un bel avenir — n'arrivent jamais à dépasser le stade des intentions, nos écrans, et mêmes nos ondes radiophoniques, restent étrangement hermétiques, recroquevillées sur elles-mêmes, incapables d'aller elles aussi à la rencontre de l'exclusivité qui fait parler d'elle. En dehors de la couverture de l'événement dictée par les impératifs officiels, l'opinion algérienne, qui suit pourtant avec un intérêt particulier la venue d'un président socialiste qui ne cache pas son amitié avec notre pays, ne risque pas, en effet, de connaître tous les non-dits des sujets qui fâchent et qui donc demeurent tabous. La raison est qu'il y a absence criante —volontaire ou pas — sur les plateaux de nos télévisions de débats consacrés aux questions essentielles sur lesquelles les Algériens ont le droit d'être informés. Entre les médias lourds français et algériens, la différence est de ce point de vue flagrante. Nombreuses, en effet, sont les télés tricolores à s'investir dans le sujet en dépêchant sur place des envoyés spéciaux , en sollicitant les avis des hauts responsables algériens et français sur les dossiers brûlants, à organiser surtout des forums de réflexion afin que chacun puisse se faire sa propre idée sur la nature de cette relation, des plateformes de rencontres entre intervenants de tous bords politiques et idéologiques, invités à exprimer en toute liberté et sans langue de bois des avis contradictoires qui frappent l'imaginaire en récusant les stéréotypes. Des intellectuels, des historiens, des hommes de presse, des spécialistes en tous genres, défilent ainsi pour décortiquer et analyser le pourquoi d'une visite et ce qu'elle représente dans le proche avenir. C'est curieux quand même de voir que les médias français réagissent très opportunément dès qu'il est question de l'Algérie, en se présentant au public avec tous les spécialistes qu'il faut. Spécialiste de l'Algérie, spécialiste du Maghreb, spécialiste de l'islam, spécialiste du terrorisme, etc., alors que chez nous, rares sont les «experts» qui sont consultés pour les éclairages nécessaires vus à partir de nos positions. Les Algériens veulent que des spécialistes algériens leur parlent des problèmes de l'émigration, des visas, de la question de la repentance, des blocages réels qui affectent les rapports économiques et commerciaux. Pourquoi les investisseurs français refusent de venir ? Voilà, parmi tant d'autres, une des interrogations qui attendent d'être explicitées avec un regard et une vision qui nous sont propres. Faut-il pour être à jour d'être toujours à la merci de France 2, TFI ou des autres chaînes d'info continue qui font davantage dans le matraquage médiatique… Ce ne sont pas pourtant les politologues, les chercheurs, les intellectuels ou les historiens de qualité qui font défaut en Algérie et dont la marginalisation fait que notre pays reste encore très en retard dans l'action de la communication. Cette visite, très attendue par les espoirs d'une relance franche de la coopération qu'elle suscite, est une opportunité médiatique qui devait être d'abord celle de nos entreprises audiovisuelles. Cela ne fut pas le cas, avec en prime une grosse déception de la part des chaînes privées dont on se demande à quoi elles servent quand elles se rendent coupables d'un tel râtage.