Près de cinq mois sont passés après les élections locales partielles qui ont concerné principalement les wilayas de Tizi Ouzou, de Béjaïa et de Bouira.Au Front des forces socialistes (FFS), l'on évoque toujours ce double scrutin non sans fierté. Au-delà de l'arithmétique électorale, la participation du parti de Hocine Aït Ahmed à cette consultation est considérée comme « une victoire en soi ». Car au niveau de la direction, l'on est convaincu que le Pouvoir « espérait » le boycott. Ce qui aurait été une erreur « mortelle ». Mais aussi grâce au nombre de sièges obtenus lors de ces élections, cette formation a confirmé sa place de « leader politique » en Kabylie. Le FFS se dit « fier » d'avoir « rendu visible le champ politique ». Sa grande réussite est d'avoir « avorté le complot ourdi » dressé contre lui par les instigateurs de la dissolution des assemblées locales de Kabylie élues en octobre 2002. Dissolution qui, selon Karim Tabbou, porte-parole du parti, visait « uniquement » le FFS, majoritaire dans la région. « La stratégie du Pouvoir était de reconfigurer la carte politique de la Kabylie de telle sorte que celle-ci tombe sous la main des rentiers et de la clientèle du Pouvoir. » Pourquoi cherche-t-on à détrôner le FFS en Kabylie ? La raison, d'après M. Tabbou, est liée aux positions « claires » du parti qui a rejeté « toutes les stratégies du désordre menées par le Pouvoir dans cette région » et qui a refusé « la normalisation ». Mais aussi ce qui a dérangé le plus, estime-t-il, c'était le livre noir sur le foncier élaboré par les élus du parti. « Le FFS a mis le doigt sur un dossier chaud qui concerne la dilapidation du patrimoine public par des réseaux structurés dans l'administration et les milieux maffieux », soutient-il. Le dossier comporte des noms de hautes personnalités. « Celles-ci ne nous pardonnent pas cela », précise-t-il. Sa participation aux élections locales d'octobre 2002 ne lui a pas porté préjudice ? Non. Le parti d'Aït Ahmed n'y regrette pas. Au contraire, il estime avoir fait le « bon choix » au moment où la Kabylie était à feu et à sang. Il se considère « victime » de sa politique contre le chaos « qu'on voulait imposer à la Kabylie ». Les dirigeants du FFS pensent que les citoyens ont compris maintenant pourquoi le parti a pris le risque de participer à ces élections. « Pour preuve, ils ont voté majoritairement pour nos candidats, renouvelant ainsi leur confiance en eux », argue un responsable au parti. En dépit du « satisfecit » de ses responsables, le FFS a bien reculé en Kabylie par rapport à 1997. Il a même perdu certains de ses fiefs, notamment l'APC de Aïn El Hammam, région natale du président du parti. Cela n'inquiète cependant pas outre mesure la direction. M. Tabbou souligne que « le FFS n'a jamais eu la prétention hégémonique. Il refuse à ce qu'il soit réduit à des symboles géographiquement limités ». « Nous avons eu comme tête de liste dans cette localité un jeune médecin connu pour ses activités syndicales à Tizi Ouzou. Il a présenté un programme réaliste. Cela a provoqué l'ire des dirigeants d'autres partis au pouvoir qui ont mobilisé au moins sept ministres pour les besoins de leur campagne, promettant ainsi à la population d'injecter des sommes colossales dans leur commune. » Le parti d'Aït Ahmed estime qu'il y a une sorte de « concurrence déloyale » en plus de certaines considérations « villagistes et tribalistes » qui ont fait que le FFS perde certaines communes traditionnellement acquises à sa cause. Mais n'y a-t-il pas d'autres facteurs propres au FFS qui seraient derrière ce recul ? Insuffisances La direction nationale du parti reconnaît l'existence d'« insuffisances internes » et d'erreurs d'appréciation et de choix de candidats. Elle admet également que certains élus étaient « incapables » de régler les problèmes des citoyens, même si le parti se félicite de n'avoir aucun élu poursuivi en justice pour des affaires de détournement et de malversation. « Nous avons plutôt des élus emprisonnés pour avoir été aux côtés des citoyens », souligne M. Tabbou. Le mode de gestion des élus a été la cause du recul de l'aura du parti dans certaines communes. Aussi, le manque ou la mauvaise communication y étaient pour beaucoup. Le parti se dit « conscient » de cela. Et il se penche sur ces manquements pour « mieux » aborder les élections de 2007. Pour ce faire, il a lancé une série de conférences politiques d'évaluation à travers 39 wilayas. « Cette occasion constitue une halte qui nous permettra de mieux nous voir nous-mêmes et de mieux voir le chemin parcouru depuis ces seize années de légalité. Ce regard rétrospectif devra être suivi d'un regard introspectif lucide, serein, apaisé pour comprendre ce qui nous arrive, comment cela nous est arrivé, et comment nous allons avancer », écrit Ali Laskri dans l'invitation adressée aux militants, sympathisants et amis du parti. Cependant, le FFS accuse du retard dans la tenue de ses échéances statutaires. Le 4e congrès, annoncé initialement pour le premier semestre 2006, ne se tiendra pas de sitôt. Pour la direction actuelle, dont le premier secrétaire en est à son second mandat d'une année renouvelé en septembre dernier, techniquement, il est impossible de le tenir avant fin 2006. « Nous devons d'abord tenir la conférence nationale des élus, la convention thématique et l'audit national », précise M. Tabbou. Ainsi, il est prévu de tenir la convention thématique en juillet, la conférence nationale des élus le 20 août prochain et l'audit national en novembre. Cet agenda a été quelque part chamboulé par les tumultes qu'a connus le parti en été 2004, suite à la démission inexpliquée de Mustapha Bouhadef, alors qu'il venait d'être désigné premier secrétaire par le président Hocine Aït Ahmed. M. Bouhadef assiste toujours aux réunions du conseil national, mais il ne semble pas être tout à fait en harmonie avec la direction actuelle. Au FFS, on a cette « particularité » de ne pas étaler publiquement les désaccords internes. Beaucoup de cadres ont quitté les rangs du parti avant et après qu'il est sorti de sa clandestinité en décembre 1989, date de l'obtention de son agrément. Au FFS, on distingue entre ceux qui ont mis fin à leur carrière politique, ceux qui ont créé d'autres partis et ceux qui ont rejoint d'autres formations. Les premiers ont montré leur « incapacité à assumer le discours du parti ». Les seconds ont contribué au pluralisme politique, tandis que les derniers « ont exprimé leur envie d'aller vite sans passer par les sentiers durs du militantisme », explique le porte-parole du parti. M. Tabbou ne cache pas l'existence de « tentatives de renversement déjouées grâce à la vigilance du président du parti ». Certaines voix accusent Hocine Aït Ahmed d'avoir instauré le « zaïmisme » au sein de sa formation. Ce discours ne dérange guère le parti. Pour la direction, ce sont des « parlottes ». « Le FFS laisse émerger les jeunes militants et garantit l'alternance en son sein », explique M. Tabbou, qui précise avoir intégré le secrétariat national à l'âge de 28 ans. « Chez nous, il ne suffit pas d'être docteur pour accéder à des postes de responsabilité. La place est aux militants actifs. Car la politique est un acte quotidien et être tout le temps à l'écoute des citoyens », précise M. Tabbou. Aujourd'hui, la moyenne d'âge au sein du secrétariat national, instance exécutive du parti, composée de 14 membres, est de 33 ans. « Notre parti est composé de prolétaires et non pas de fonctionnaires », souligne M. Tabbou. Le FFS continue de lutter pour la démocratie, les libertés et les droits de l'homme. Vision critique Seize ans d'existence légale et près de 26 ans d'activité clandestine, le FFS est resté « fidèle » à son discours. Il rejette l'ordre établi. Il revendique une assemblée nationale constituante comme prélude à une démocratie participative et plaide pour l'avènement de la deuxième république. « La constance de son discours a fait que le FFS garde toujours sa cohésion », dit-on au niveau de la direction nationale. S'étant opposé par le passé au régime de Ahmed Ben Bella qu'il accusait d'avoir « confisqué » l'Indépendance en été 1962, le FFS refuse le moindre « flirt » avec le Pouvoir. Il ne cesse de dénoncer la responsabilité de ce qu'il appelle « le cabinet noir » dans la crise de la dernière décennie. Pour ce parti, le pouvoir réel est détenu par le département des renseignements et de sécurité, plus connu sous le sigle du DRS. « Nous avons proposé une sortie de crise que nous avons remis en mai 2001 au chef de l'Etat et aux généraux décideurs », souligne M. Tabbou. Le FFS ne regrette pas d'avoir signé le contrat national de Rome en janvier 1995. Pour lui, il s'agissait d'une initiative de paix qui garantissait la réconciliation et la justice. « S'il avait été accepté, ce contrat aurait épargné beaucoup de vies. Nous avons été insultés et traités de traîtres à la nation », lâche notre interlocuteur. Aujourd'hui, ce parti critique vertement la charte pour la paix et la réconciliation nationale, décrétée par le président Bouteflika. Le FFS plaide en faveur de la réconciliation nationale et la paix civile. Mais il trouve que le texte de la charte n'a rien à voir avec cela. Hocine Aït Ahmed la considère comme « une sommation à renoncer définitivement à notre souveraineté et de la transférer à un seul homme ». Elle impose, selon lui, l'impunité des forces de sécurité et occulte la dimension politique du conflit. Le parti d'Aït Ahmed ne dénonce pas uniquement la charte, mais aussi la « mauvaise gestion » du régime actuel. Il n'hésite pas à planter des banderilles à l'endroit du gouvernement qui, selon lui, a bradé les richesses du pays. La loi sur les hydrocarbures en est pour lui un exemple édifiant. Les privatisations aussi. Au FFS, on ne croit pas aux réformes économiques qui, pour lui, ne sont que de la poudre aux yeux. On préfère parler du nombre croissant de pauvres en Algérie. Cette formation considère que la stratégie du Pouvoir est de réprimer toute voix discordante. « Nous avons vu comment nos militants ont été jetés en prison à Ghardaïa et ailleurs pour avoir dénoncé la hogra », souligne M. Tabbou. Il se demande ce qu'a de démocratique le régime en place. Il condamne l'emprisonnement des journalistes, qui est, selon lui, une atteinte grave à la liberté d'expression. En dépit de ce constat peu reluisant, le parti d'Aït Ahmed continue de croire en l'avènement d'un Etat démocratique. C'est dans cette perspective qu'il œuvre « inlassablement au rassemblement des forces démocratiques autonomes pour une réelle représentation politique et sociale ». Le FFS est structuré dans 32 wilayas. Il compte 890 élus à travers le pays et fonctionne avec leurs cotisations et les dons de ses militants au nombre inconnu.