Plus de 3000 boulangers ont baissé rideau depuis 2010. Ceux qui restent préfèrent vendre des gâteaux et des croissants, c'est plus rentable. -Constantine : de nombreux quartiers sans pain Le métier de boulanger risque de disparaître un jour à Constantine. Depuis 2005, les choses ne cessent de se gâter. Pour le bureau de l'union des boulangers, affilié à l'UGCAA, il y a vraiment péril en la demeure. Les chiffres sont inquiétants. Entre 2005 et 2010, 48 boulangeries ont baissé rideau ou changé d'activité, en attendant des jours meilleurs. Ce nombre a bondi et touche aujourd'hui 430 boulangeries, selon l'union des boulangers, qui précise que 83 artisans boulangers seulement assurent la fabrication du pain dans toute la wilaya de Constantine. Sur 517 boulangers inscrits au registre du commerce, 84% d'entre eux ne confectionnent plus de pain. «C'est une situation catastrophique qui pénalise énormément le citoyen, surtout que dans certaines communes, il n'y a même pas de boulangeries», nous affirme un ancien boulanger. Dans la ville de Constantine qui compte plus de 500 000 habitants, de nombreux quartiers ne sont même pas couverts. «Il faut se déplacer jusqu'au centre-ville pour acheter une baguette de pain», nous dit un habitant d'une cité dans la banlieue. Les principales causes de cette «catastrophe» pour la corporation sont, en premier lieu, la marge bénéficiaire sur la baguette de pain qui n'a guère changé depuis 1996, malgré les propositions faites au gouvernement par l'Union des commerçants, qui préconise une augmentation progressive du prix du pain. «Il y a aussi les charges afférentes à la fabrication du pain qui sont en nette augmentation, ajoutez à cela la raréfaction de la main-d'œuvre», nous affirme un ancien boulanger qui regrette que les jeunes ne s'intéressent plus aujourd'hui à ce métier noble à cause d'une faible rémunération. «Pourtant, les solutions existent pour redresser la situation, à condition que l'Etat accepte de jouer le jeu et cesse de faire de la politique avec une baguette à 7,50 DA qui n'a aucune qualité», conclut notre interlocuteur. -Oran Colère et menaces Les boulangers d'Oran tirent la sonnette d'alarme. Selon eux, aucune de leurs revendications n'a été honorée par le ministère du Commerce. «Les boulangers ne peuvent continuer à travailler à perte vu qu'ils sont endettés jusqu'au cou», dira Mezazigh, président du bureau d'Oran de la Fédération des boulangers activant sous la coupe de l'UGCAA. La wilaya d'Oran compte plus de 600 boulangers ayant tous les mêmes revendications : «Une révision du prix du pain pour que le boulanger puisse avoir une marge bénéficiaire honorable.» Un boulanger expliquera : «Le pain est constitué de cinq ingrédients, dont seule la farine est subventionnée. Le reste, nous le payons au prix du marché libre. Il n'y a pas un boulanger à Oran qui ne soit pas endetté auprès de Sonelgaz.» Et Mezazigh d'expliquer : «Le boulanger est un transformateur. Il ne vend pas la farine dans son état brut. L'Etat doit également subventionner les autres ingrédients du pain.» Un autre soutiendra : «Nombreux sont les boulangers qui ont fermé boutique à cause de tous les problèmes que rencontre notre métier. D'autres suivront certainement si le ministère du Commerce n'agit pas au plus vite pour un dénouement de cette crise.» Les boulangers d'Oran estiment qu'«il est impératif que des prix subventionnés pour la consommation du gaz et de l'électricité soient adoptés. Une révision à la baisse du poids de la baguette de pain s'impose accompagnée d'une baisse de 200 DA sur le prix du quintal de farine.» S'agissant de la formule d'acquisition de groupes électrogènes par le biais de crédits bancaires afin que les boulangers ne pâtissent plus des coupures de courant, nos interlocuteurs diront : «La formule n'offre aucun avantage aux boulangers. Au contraire, elle les endettera davantage.» Les boulangers reprochent à cette formule «le taux élevé des intérêts». Mezazigh dira : «L'Etat n'a qu'à nous donner à titre gracieux les groupes électrogènes ou nous les vendre à un prix symbolique.» -Alger Des croissants et des gâteaux à la place du pain «120 boulangeries ont fermé à Alger, et ce, sans compter ceux qui ont seulement gelé leur commerce avant de reprendre leur activité», révèle Hadj Tahar Boulenouar, porte-parole de l'Union générale des commerçants et artisans algériens (UGCAA). Aujourd'hui, ce secteur n'encourage plus les boulangers à continuer de travailler au vu de l'augmentation des prix des produits de fabrication du pain, à savoir l'huile, le sucre, la levure... «Les boulangeries ferment de plus en plus, car elles n'ont droit qu'à une petite marge bénéficiaire, d'autant que le prix de la baguette n'a pas bougé depuis des années. En plus, les prix des matières premières pour la fabrication du pain ont connu cinq hausses successives ces dernières années», ajoute-t-il. «Pour trouver leurs comptes, plusieurs boulangers se sont rabattus sur la pâtisserie et les croissants.» Certains boulangers expliquent que la fabrication d'autres produits est impérative pour compenser les petites marges bénéficiaires que garantit la vente du pain. «Aujourd'hui, la fabrication d'autres produits est nécessaire pour pouvoir s'en sortir», expliquent des boulangers rencontrés à la rue Hassiba Ben Bouali. Certaines «pratiques» se sont répandues chez quelques boulangers, comme diminuer la quantité des intrants ou augmenter le prix de la baguette qui est fixé à 8,50 DA. Les boulangers se plaignent également des coupures d'électricité récurrentes à certaines périodes de l'année. Pour remédier à ce problème, des négociations ont été entamées avec les services du ministère du Commerce dans le but d'acquérir des groupes électrogènes. Pour les boulangers, l'acquisition de ces groupes est la seule solution pour augmenter le taux de production. -Béchar : plus qu'une quarantaine pour 160 000 habitants «Face à l'ampleur des problèmes, le nombre des boulangeries ne cesse de baisser à Béchar. Il y a encore quelques années, elles étaient une centaine, elles ne sont plus qu'une quarantaine à encore vendre du pain aux 160 000 habitants que compte la wilaya de Béchar.» La sonnette d'alarme a été tirée, il y a quelques jours, par la corporation, qui a tenu une réunion au siège de l'UGCAA pour exiger l'ouverture d'un dialogue avec les pouvoirs publics locaux. Pour se faire entendre, les boulangers ont entamé une grève, qui a considérablement perturbé la distribution du pain dans le centre-ville et dans les nombreux quartiers populaires. L'Association des boulangers réclame l'augmentation du prix de la baguette de pain. Ils veulent que le prix soit fixé à 10 DA. Par ailleurs, les boulangers se plaignent de la flambée du prix de la levure qui a subi, avec d'autres produits améliorants, une hausse variant entre 200 et 300%. Mais la colère de ces artisans ne s'arrête pas là et s'est concentrée sur le sac de farine livré et censé contenir le poids de 50 kg, alors qu'en réalité à la pesée, il ne dépasse guère les 45 kg ; une «arnaque», disent-ils. La pénurie de main-d'œuvre locale est un autre souci que rencontre la corporation qui porte de graves accusations contre l'Ansej qui a agréé, selon eux, des dossiers d'acquisition de boulangeries neuves à des personnes qui n'ont aucun lien avec le métier et qui les ont revendues en l'état. -Aïn Defla : 50% des boulangeries ont déjà fermée «La corporation des boulangers est menacée d'extinction si l'Etat n'intervient pas», a affirmé Amar Kehila, président de l'Association des boulangers de la wilaya de Aïn Defla. Il déclare avoir, à plusieurs reprises, tenté d'alerter les responsables sur les conséquences de la politique menée par l'Etat. En vain. «La politique de soutien décidée par l'Etat risque d'amener tous les boulangers à mettre la clé sous le paillasson», a-t-il regretté, ajoutant qu'il existe d'autres produits qui mériteraient d'être subventionnés tels que les légumes, au lieu de focaliser sur le pain. «Nous n'arrivons plus à joindre les deux bouts à cause des charges multiples qui pèsent sur les gens de la profession», explique Amar Kehila. Du côté de la direction du commerce, on indique que 120 boulangers sur 264 détenteurs d'un registre du commerce ont cessé leur activité. Parmi eux, on compte 30 boulangers de métier et 90 artisans. Ces derniers ont pour la plupart bénéficié de crédits bancaires dans le cadre des dispositifs de lutte contre le chômage. Ils sont détenteurs de registre du commerce, mais beaucoup n'exercent pas et préfèrent garder leur matériel sous emballage.