Chacun à sa façon a marqué cette année de son empreinte. L'un par la musique, l'autre par Internet, ou encore par des spectacles hilarants et intelligents… Tour d'horizon, non exhaustif, de Rémi Yacine. -Naïma Yahi : la vie en chantant Ceux qui m'aiment prendront les airs… L'historienne Naïma Yahi, spécialiste de la chanson de l'exil, a multiplié les initiatives en 2012. Colloques, animations, plusieurs ouvrages en cours, conseillère de Barbès Café à la Cité de l'Immigration, elle était partout, demandée par tout le monde. Elle vient de lancer avec sa complice et consœur Peggy Derder un site Internet de référence : «Mémoires algériennes». Incontournable. Hyperactive, elle a un projet en cours pour la télévision. Gasba, bendir, ghaïta, pour suivre Naïma Yahi, il faut connaître les airs. Née en 1977 à Tourcoing, Naïma Yahi est historienne de la culture de l'immigration maghrébine en France. Sa thèse de doctorat, «L'histoire culturelle des artistes algériens en France», a fait d'elle une spécialiste incontestée de ce thème. -Cheikh Sidi Bémol : maraboutage Il sillonne les terres de France et d'Algérie avec un égal bonheur. Ses concerts affichent complets partout. L'OCNI (Objet chantant non identifié) a créé une école et fait plein d'adeptes, toujours l'air de rien. Cheikh Sidi Bémol se joue des étiquettes. Compositeur, musicien, dessinateur et caricaturiste (sous le pseudonyme Elho), Cheikh (Hocine Boukela pour l'état civil), est aussi à l'aise dans le rock, le blues, le jazz manouche, la musique celte… et indienne. Ceux qui ont eu la chance de le voir sur scène à la salle Ibn Zeydoun reprendre Janitou avec les Dhoad Gypsies of Rajastan n'en sont toujours pas revenus. Diagnostic : le Cheikh nous a maraboutés. A ses fans et aux autres, la sortie de son prochain album est imminente. -Karim Amellal : le slow c'est mieux Maître de conférences à Sciences Po et auteur de son premier livre à 27 ans, il en a 34 aujourd'hui, Karim Amellal innove cette année. Il a lancé avec d'autres associés Stand Alone Media (www.sam.tv) dont l'ambition est de créer une sorte d'encyclopédie en vidéo pour rendre le savoir et la culture plus accessible au plus grand nombre. Cette année, il s'est attaqué au monde arabe, avec des contenus originaux dont des portraits d'artistes de 26 minutes. Comme le monde ne lui suffit pas, il a aussi décidé de s'intéresser à l'Algérie. Son projet en voie d'achèvement risque de faire beaucoup parler de lui ; regardons ça de très près. Regardez, il y a à voir. -Le Comte de Bouderbala : «Vous avez vu ma gueule ?» «Le seul Arabe avec une tête d'un Portugais et le corps d'un Turc», dixit lui-même. Le Comte de Bouderbala (Sami Ameziane pour l'état civil) s'amuse des clichés avec de la nitroglycérine. Humour hautement corrosif, à user et abuser sans précaution. L'humour franco-algérien, ancien international de l'équipe de basket d'Algérie, déconstruit nos certitudes avec beaucoup de talent. C'est incontestablement le roi du stand-up. Les phrases s'enchaînent avec une précision diabolique, les mots ne ratent jamais leur cible. Son sketch sur les rappeurs laissera des traces. Apparition remarquée dans le film Les Seigneurs. -Viande halal et pain au chocolat : indigestion à droite Après l'enquête de notre consœur Anne de Loisy diffusée dans Envoyé spécial sur France 2, la viande halal a occupé le champ médiatique pendant une longue période. La fille de Jean-Marie Le Pen a lancé la polémique, suivie d'abord timidement, ensuite violemment par l'ancien locataire de l'Elysée. Du jour au lendemain, la crise, le chômage, les plans sociaux... ont été relégués au second plan. La droite en a fait son thème principal pendant la campagne présidentielle, vainement. Quelques mois plus tard, le président de l'UMP invente une histoire de pain au chocolat volé à un écolier par d'autres écoliers (musulmans) pendant le Ramadhan. Sauf que le mois de jeûne avait eu lieu en août, soit un mois après la fermeture des classes. Des associations ont servi des pains au chocolat à la sortie des gares et devant l'Assemblée nationale. -Médine : Alger pleure Artiste engagé, Médine, alias Médine Zaouiche, a marqué 2012 avec un single et un clip choc : Alger pleure. Dans ce texte, il a su restituer toutes les complexités des relations franco-algériennes. Alger pleure a été l'un des clips les plus partagés sur les réseaux sociaux. Torture, Aussaressses, FLN, OAS, double culture, Médine n'a rien laissé au hasard. En 2006 déjà, il raconte à sa façon dans son album Table d'écoute, le 17 Octobre 1961. D'une chanson éponyme, il a co-écrit un livre avec Pascal Boniface (Don't Panik). Objectif : dynamiter les préjugés. N'ayez pas peur, c'est du bon rap et de la bonne littérature. Un rappeur et un géopolitologue en pleine forme. -Fellag : le couscous de Monsieur Lazhar 2012 est le grand retour de Fellag sur la scène. Après son triomphe au théâtre du Rond-Point, il reprend la route pour la tournée de son cooking-show Petits chocs des civilisations. La recette : du piment, de la harissa, une dose de l'absurde, une exagération assumée, un peu de mauvaise foi, un zeste d'ironie et un cœur comme ça, aussi grand que la couscoussière. Vous mélangez tout, vous roulez la semoule. Sauf que pour réussir ce plat, il faut un cuistot nommé Fellag. Et comme un bonheur arrive toujours avec sa smala, Fellag a reçu l'équivalent canadien d'un Oscar pour son rôle dans Monsieur Lazhar, un film à ne pas rater. Et ce n'est pas de la chance s'il se retrouve aussi dans le film d'Alexandre Arcady Ce que le jour doit à la nuit. Un bon couscous, on vous dit. R.Y.