Après le départ de Ahmed Ouyahia la semaine dernière, les appels à la démission visent à présent Abdelaziz Belkhadem. Le nettoyage à sec dans les partis politiques risque de faire encore beaucoup de victimes avant 2014. Ils sont huit à donner l'estocade (à) Belkhadem. Huit ministres, membres du comité central et du bureau politique – Moussa Benhamadi, Rachid Benaïssa, Amar Tou, Rachid Harraoubia, Abdelaziz Ziari, Tayeb Louh, Abdelkader Messahel et Mahmoud Khoudri –, à avoir pris l'«initiative» de retirer leur confiance au patron du parti et de lui demander de partir. Dans un communiqué rendu public, les ministres ont énuméré les griefs à son encontre. Ils l'accusent d'utiliser les institutions de l'Etat pour servir ses ambitions personnelles. Ils lui reprochent également d'avoir entraîné le parti vers l'opposition au lieu d'en faire un élément central de soutien au programme du Président. Une situation qui menace, selon eux, l'équilibre du parti et gêne le travail des parlementaires et des ministres FLN. Plus forte que les redresseurs qui ont bataillé plus de deux ans sans avoir obtenu le départ de Belkhadem, la fronde des ministres émane surtout de personnalités politiques connues pour être des proches du président Bouteflika. Et confirme donc le nettoyage qui se prépare depuis la démission du secrétaire général du RND jeudi dernier dans la perspective de la présidentielle. Le système entend bien mettre à l'écart les «anciens» (Belkhadem est là depuis 2005, Ouyahia tenait le RND depuis 1997) susceptibles de faire de l'ombre au Président sortant. «On balise le terrain pour Bouteflika, c'est évident. Les décideurs ne pouvaient pas proposer à l'opinion publique internationale et nationale un vieux président malade et garder les mêmes têtes aux manettes des plus importants partis. Il faut tout de même donner l'illusion du changement ! estime, avec un brin de cynisme, un responsable du FLN. ‘‘Ils'' ont donc décidé de les sacrifier. Pour cela, une feuille de route a été élaborée. A défaut de Printemps arabe, les Algériens auront le droit à un petit Printemps des partis.» Car paradoxalement, les derniers événements qui touchent les pays arabes et voisins légitiment une nouvelle candidature du Président sortant. «Les soubresauts que connaissent actuellement la Tunisie et la Libye jouent en faveur du maintien de Abdelaziz Bouteflika à la tête de l'Etat, affirme la politologue Louisa Aït Hamadouche. Il pourra compter sur une caution internationale qui estime que la stabilité de l'Algérie est plus importante aujourd'hui que des changements politiques.» Bye bye soutiens Mais Belkhadem «pourrait bien s'accrocher et ne pas partir sans obtenir de contrepartie», estime un cadre de l'armée. «Pas question aussi de démissionner, comme Ahmed Ouyahia. Il sait pourtant que dans l'histoire du parti, ces vingt dernières années ont été ponctuées de coups d'Etat ‘‘scientifiques''. Lui-même est arrivé à la tête de l'appareil du parti en 2005, suite à un putsch contre Ali Benflis ! Pour l'heure, le secrétaire général du parti peut encore s'appuyer sur les statuts du FLN pour se maintenir jusqu'à la prochaine réunion du comité central, prévue pour la fin du mois, et tenter de pousser les membres du comité central d'accepter la tenue d'un congrès extraordinaire au mois d'avril.» Il peut également compter sur le soutien d'une partie du bureau politique qui lui reste fidèle. Pour le moment. «On a constaté que la demande introduite par les huit signataires l'a été en dehors des instances régulières du parti, observe Aïssi Kassa, porte-parole du parti et membre du bureau. On considère qu'il s'agit de putschistes du changement.» Reste à savoir combien de temps Belkhadem pourra encore compter sur ses fidèles ? Car derrière la sortie médiatique des huit ministres, l'ombre du Président plane. «On est passé à la vitesse supérieure pour faire partir Abdelaziz Belkhadem, estime un politologue. Ils ont d'abord tenté de le faire partir en actionnant, comme au RND, des mouvements de contestation au sein du parti, mais ça n'a pas marché. Trois ministres (Tayeb Louh, Rachid Harraoubia et Amar Tou) qui ont signé le communiqué de mercredi, lui avaient déjà signifié, lors d'une précédente rencontre, qu'‘‘on'' souhaitait son départ, mais il n'avait rien voulu entendre. Maintenant, Belkhadem sait qu'il va voir ses soutiens au sein du parti le lâcher les uns après les autres.» Un autre fin connaisseur de la scène politique nationale confirme : «Abdelaziz Bouteflika envoie un message fort à Belkhadem. Personne ne peut imaginer que la sortie médiatique des ministres s'est faite sans l'accord de la Présidence. Ajoutez à cela la nomination dans le tiers présidentiel du chef de file des redresseurs, Salah Goudjil, celui-là même qui qualifiait Belkhadem de chef de la zaouia, celui-là même qui l'accusait en janvier 2012 d'avoir fait dérailler le FLN de sa voie principale et de s'être entouré d'hommes d'affaires douteux, d'escrocs et vous comprendrez que les jours de Belkhadem sont comptés.» Une analyse que partage l'ancien ministre et adversaire au chef du FLN, Boudjemaâ Haichour, qui estime que cette déclaration des ministres a été «suggérée quelque part». Il regrette en revanche l'immobilisme dont ont fait preuve les ministres lorsque la bataille contre Belkhadem faisait rage. «C'est quand on a dénoncé les dérives de Abdelaziz Belkhadem, qu'il fallait agir. Je considère qu'ils n'ont pas pris leurs responsabilités à ce moment-là.» Au suivant Chez les islamistes de l'Alliance verte (Hamas-El Islah et Ennahda), on observe avec crainte les derniers développements survenus au sein du plus vieux parti. Sortis exsangues des dernières élections législatives et communales où ils ont enregistré un net recul, les islamistes sont persuadés qu'ils seront les prochaines victimes et craignent un nouveau morcellement de leur mouvement. Pour le secrétaire général du mouvement d'El Islah, Hamlaoui Akouchi, les manœuvres actuelles vont toucher d'autres partis politiques. «On se retrouve face à un entourage du Président qui veut garder ses privilèges. Pour cela, ‘‘ils'' créent l'environnement adéquat à la candidature de Bouteflika, les conditions pour un quatrième mandat. On assiste à une sorte de saupoudrage de la réalité pour créer le mirage du changement. Après le RND et maintenant le FLN, il y a de fortes chances que le pouvoir décide de taper encore sur Hamas, malgré son morcellement depuis le départ de Amar Ghoul et la création du parti TAJ.». Une analyse que partage Mohamed Hadibi d'Ennahda, pour qui le changement à la tête des deux partis politiques va s'accompagner de la réactivation de l'alliance présidentielle. «On veut remettre en selle l'alliance, mais en ajoutant le TAJ de Ghoul et le MPA de Benyounès. On est toujours dans le triptyque qui gouverne ce pays depuis 1999 : un brin de nationalisme (RND-FLN), un zeste de laïcité (MPA) et un chouia d'islamisme (TAJ).» Louisa Aït Hamadouche souligne l'importance du «consensus». «Il ne faut pas croire que ce qui se passe actuellement au RND et FLN illustre la volonté du pouvoir de procéder à des changements radicaux. Nous assistons à un processus normal dans lequel le pouvoir envoie à la retraite le personnel politique sur lequel il n'y a plus de consensus entre les différents cercles décisionnels, analyse la politologue Pour maintenir le statu quo, le pouvoir donne l'illusion du changement et procède à une sorte de replâtrage en faisant bouger les pions sur l'échiquier sans jamais remettre en cause les grands équilibres qui régissent le pouvoir.» L'ancien Premier ministre, Sid Ahmed Ghozali, rappelle lui aussi que «le système a toujours sacrifié tel ou tel homme politique pour donner au peuple l'impression que les choses changent.»