Les récents événements à In Amenas ont déstabilisé la quiétude des habitants de Djanet. El Watan Week-end est allé à leur rencontre. Attablés à une terrasse de café au centre-ville de Djanet, des Touareg échangent des propos concernant la crise au Mali. «Je suis contre Ançar Eddine et le Mujao», lance Mani Targui, la soixantaine, en tenue traditionnelle touareg. Les habitants de Djanet craignent que la situation au Mali ne s'étende au Sud algérien et expriment leur ras-le-bol contre les mouvements islamistes du Nord-Mali. «Il se pourrait que les mouvements terroristes trouvent des brèches pour franchir les frontières», lâche Ali, avant que Mani, plus confiant, ne conteste : «Impossible ! Les frontières avec le Mali sont très sécurisées. Les militaires algériens ne laisseront jamais les islamistes mettre les pieds sur le sol algérien.» Si les autorités algériennes ont déjà déployé les méharistes (militaires touareg) dans la région, les habitants du Sud croient savoir que les terroristes traversent en réalité souvent la frontière. «Voilà les méharistes.» Sale jeu Au cours de la discussion, un jeune homme désigne du doigt un camion chargé de militaires. Ce jeune, qui préfère garder l'anonymat, espère que la situation se règlera de l'autre côté des frontières. «Je n'ai pas envie que ce qu'on a connu avec les Libyens se reproduise. Il faut savoir que plusieurs rebelles libyens ont fait de Djanet leur refuge. Mais nous n'accepterons jamais la présence des islamistes ici», tranche-t-il, déterminé. Et d'enchaîner : «En tout cas, je pense qu'ils n'arriveront pas à s'en sortir dans le Sahara algérien. Ils ne tiendront pas le coup.» Mani Targui rassure ses amis en regardant sa tasse de thé : «Même si Ançar Eddine et le Mujao réussissent à pénétrer en Algérie, on y fera face. On ne laissera jamais ces criminels vivre ici. Ils veulent imposer un autre islam aux musulmans !» Et d'analyser : «Tout ce qui se passe au nord du Mali est voulu. Pour moi, le Mujao, qui enlève et exécute des innocents, est un produit marocain et le royaume chérifien est le loyal serviteur des Français. Ce chaos a déjà été planifié bien avant l'intervention militaire. Les Français demandaient aux Marocains de semer la pagaille au Sahel à travers ce groupe de terroristes, pour qu'ils puissent mettre les pieds au nord du Mali», accuse Mani fermement. Son ami s'interroge : «Pourquoi le gouvernement algérien n'intervient pas ?» Un autre Touareg s'invite au débat, très sûr de lui : «Ne t'inquiète surtout pas pour les autorités algériennes, elles savent très bien ce qu'elles font. Nous sommes conscients que les étrangers veulent semer la discorde entre les Touareg et le gouvernement algérien.» Azawad A ce propos, ils assurent qu'ils resteront loyaux à l'Etat algérien, à condition que les responsables ne les marginalisent plus. «Malgré notre loyauté envers le gouvernement algérien, nous restons marginalisés. On dirait qu'on n'est pas Algérien ! Tout cela, parce qu'on a demandé aux autorités de reconnaître notre langue et notre culture», peste Mani, avant de reprendre : «En ce qui concerne le Mali, on partagera toujours la position de l'Etat algérien, mais cela ne veut pas dire qu'on est contre la cause de l'Azawad. Cette région est la nôtre, c'est le colonialisme qui nous a séparés. Dans les années 1950, on était un seul peuple avec les Touareg maliens, nigériens, libyens… Et maintenant, on nous sépare comme si de rien n'était !» Les Touareg de Djanet se disent «cœur et âme» avec leurs «frères» du MNLA. «Dans le cas où la situation ferait fuir les nôtres du Mali, ils seront les bienvenus chez nous. Cependant, on les encourage à lutter jusqu'à ce qu'ils obtiennent gain de cause», espère Mani Targui. Inquiétude Les employés de la base Hayet sont abasourdis. Mercredi matin à Djanet, les habitants, installés au café pour suivre les événements dramatiques d'In Amenas sur les chaînes télévisées, étaient sous le choc. Le silence des habitant démontre leur inquiétude. Certains ont des proches qui y travaillent, d'autres sont eux-mêmes employés dans la base Hayet, où opérent conjointement les trois sociétés, Sonatrach, British Petrolium et Statoil. Rencontré à Djanet, un agent de sécurité travaillant à la base est sous le choc. «Heureusement que je suis en congé», lâche-t-il sous le couvert de l'anonymat. «J'essaye d'appeler quelques collègues pour le moment, je n'y suis pas arrivé, le réseau téléphonique est coupé», poursuit-il. Quelques minutes plus tard, son téléphone portable sonne, un collègue d'In Amenas lui annonce la mauvaise nouvelle, le visage blême, il lâche : «Ce sont des criminels ! Ils ont tué mon ami Lamine, un jeune trentenaire.» Il poursuit : «L'un des barbus lui a tiré dessus au moment où il allait donner l'alerte. Tout a commencé quand des employés étrangers quittaient la base pour l'aéroport, pour partir en congé. Les terroristes les ont coincés sur l'itinéraire et les ont ramenés vers la base. Ce que je ne comprends pas, c'est que les employés étrangers étaient escortés par l'armée algérienne.» Certains affirment avoir assisté à un accrochage entre les militaires et les terroristes. Des Algériens ont été blessés lors de cette attaque. Peu après, l'arrivée des notables touareg avait pour but de négocier avec les preneurs d'otages. D'après les informations qu'a reçues notre interlocuteur, «c'est à peine croyable ! Je ne crois pas que la société qui m'engage me rappelle, vu la situation chaotique.» Son collègue poursuit : «Tout ce qui se passe aujourd'hui est une conséquence de la guerre au Mali. Notre gouvernement aurait pu renforcer la présence militaire et sécuriser la zone, maintenant tous le Sahara est menacé.» Les deux employés estiment que cette attaque constitue un message pour le gouvernement algérien. «Les terroristes veulent prouver qu'ils sont capables de déstabiliser notre pays. Tant que le Mali est en guerre, on ne sera pas en sécurité», disent-ils. Certains Touareg confirment que les militaires algériens ne pourront pas sécuriser toutes les frontières. «Je ne pense pas que les militaires puissent contrer les islamistes djihadistes venus des pays voisins. Il faut être très vigilant», conclut notre interlocuteur.