Les données statistiques et les constatations scientifiques le confirment aujourd'hui : la ressource halieutique algérienne tend de plus en plus à diminuer et la production de pêche connaît, depuis quelques années, un recul inquiétant. Phénomène naturel ou conséquence irréversible d'une mauvaise gestion des ressources ? Les spécialistes qui se sont intéressés à l'exploitation des réserves que recèlent les côtes algériennes mettent en avant les deux causes en même temps. Les scientifiques affirment, en effet, que la production halieutique a atteint, depuis quelque temps, son summum, signe d'une prochaine période de déclin : «Que la production diminue encore plus, cela ne m'étonnera pas du tout», souligne Dr Farid Hemida, halieute à l'Ecole supérieure des sciences de la mer et de l'aménagement du littoral d'Alger (Essmal). Une lecture de l'évolution de la production durant la période 1999-2011 laisse constater trois périodes essentielles. De 1995 à 1999, une diminution progressive a été constatée avec une production moyenne de 99 191 tonnes/an, et un pic de 116 351 tonnes enregistré en 1996. La période allant de 2000 à 2006 a été, quant à elle, caractérisée par une augmentation continue avec une production moyenne de 136 602 tonnes/an, soit une croissance de +37%, par rapport à la production moyenne enregistrée durant la période précédente. Une tendance vers la baisse s'ensuivit avec, cette fois-ci, une production de près de 124 000 tonnes/an, soit une diminution de -9% par rapport à la production moyenne enregistrée durant la période 2000-2006. Les responsables en charge du secteur pensent que «cette baisse peut être expliquée par deux facteurs principaux, à savoir le nombre de la flottille active et le nombre de sorties productives qui sont liés principalement aux conditions climatiques défavorables.» D'autres raisons sont également signalées comme étant à l'origine de cette baisse, en premier lieu la pollution des zones côtières et le réchauffement climatique. Il faut dire cependant qu'en dépit de la diminution constatée des ressources halieutiques, les quantités produites sont encore loin d'atteindre le «stock pêchable» estimé à 280 000 tonnes, sur un stock halieutique global de 600 000 tonnes. Sur le terrain, qui mieux que les marins pêcheurs pour expliquer cette contre-performance. Dépassant tous les deux la soixantaine, Omar et Abderrahmane, deux marins pêcheurs originaires de Dellys, n'ont pas pour autant rangé leurs filets de pêche ou renoncé à leur métier. Mieux, ils se sont associés pour acquérir un nouveau navire de pêche et l'ont confié à leurs deux fils qui assurent, avec leur soutien, la relève tant espérée. Surpêche et pollution Depuis leur jeune âge, ils gagnent leur vie en pêchant sur les côtes de la wilaya de Boumerdès. Leur revenu a cependant diminué au cours des dernières années et, aujourd'hui, même en étant patrons pêcheurs, ils n'assurent plus les mêmes rendements d'antan. «La région compte actuellement près de 3000 marins pêcheurs et sardiniers. La concurrence devient féroce et la mer n'est plus aussi généreuse qu'avant. Que voulez-vous qu'on pêche à côté des navires de 1200 chevaux qui raflent tout sur leur passage ?», déplorent les deux armateurs. Ils affirment qu'avant que la situation n'atteigne ce stade dangereux de surexploitation de la mer, l'activité pêche était réglementée en zone autorisée, en profondeurs et en périodes biens précises. «Aujourd'hui, vous pouvez même voir à n'importe quelle heure des chalutiers pêcher à 10 miles nautiques des côtes sans être inquiétés», ajoutent-ils encore. Pour eux, cela ne fait aucun doute, les prix exorbitants du poisson dans les pêcheries ne sont que la conséquence de la diminution des quantités pêchées tout au long des côtes algériennes : «L'offre ne suit plus la demande, et le casier de sardines de 20 kg qui coûtait il y a quelque temps 800 dinars est cédé, aujourd'hui, à 7000 dinars», font remarquer nos deux interlocuteurs. Et de préciser qu'en plus de la sardine qui se fait de plus en plus rare sur les côtes algériennes, plusieurs espèces de poissons ont complètement disparu tels que «le requin blanc, le chien de mer, la morue, l'anchois, ou encore l'ombrine de sable que beaucoup de jeunes pêcheurs ne connaissent pas aujourd'hui.» Sans le dire explicitement, nos deux marins pensent aussi que la flambée des prix que connaissent les produits de la mer sur le marché est due, entre autres, à la hausse continue des frais d'exploitation : «Un bateau sardinier coûte pas moins de 20 millions de dinars, et un filet de pêche de 100 mètres est à 5 millions de dinars», nous fait-on savoir. Il faut dire cependant que l'équipement de pêche, même acquis flambant neuf, ne peut pas servir à grand-chose au port de Dellys. Et pour cause, les marins pêcheurs qui y exercent n'arrivent pas à rentabiliser leurs investissements, en ce sens que l'activité y est aujourd'hui réduite en raison de l'exiguïté des lieux. «Le quai fait à peine 20 mètres et le nombre d'unités est largement supérieur aux capacités du port. Il y a à peine 1 m entre une felouque et une autre», nous dit-on. Le port de Dellys, réalisé en 1925, connaît en effet une saturation quasi-totale en navires accostant à son niveau, d'autant qu'il abrite aussi les bateaux de marchandises. «Les responsables du secteur ont décidé de le réaménager, mais à ce jour nous n'avons rien vu venir», affirment les pêcheurs. Compensation et statut Au port de Bouharoun, dans la wilaya de Tipasa, les professionnels de la pêche ont pris l'initiative de s'organiser sous l'égide du Comité national des marins pêcheurs. Abdelmadjid El Mokhtar, armateur de son état, veut amener les responsables en charge du secteur à reconnaître la particularité de l'activité de pêche : «Les marins pêcheurs risquent leur vie en sortant en haute mer. Après 32 ans de travail, ils touchent une pension de retraite d'à peine 15 000 dinars. Il faut que cela change.» Selon lui, l'adoption d'un statut propre aux pêcheurs est, aujourd'hui, primordiale «si l'on veut que les choses s'améliorent». Et d'expliquer que les gens de la profession qui travaillent deux ou trois mois, seulement, durant l'année et chôment le reste du temps à cause du mauvais temps ou des périodes de repos biologique, se voient obligés d'utiliser tous les moyens de pêche, même les plus interdits par la loi, pour rattraper le manque à gagner. «Si les pêcheurs bénéficiaient d'une compensation pécuniaire, la surpêche et la surexploitation des fonds marins n'auraient pas atteint ce stade alarmant», souligne notre interlocuteur. Tout en dressant une liste infinie de revendications socioprofessionnelles, Abdelmadjid ne cache pas sa crainte de voir le métier de pêcheur se clochardiser dans un futur proche, tant «la profession est aujourd'hui envahie par des intrus qui font la loi et imposent leur diktat, en fixant les prix du poisson à leur guise.» Le port de Bouharoun, notons-le, abrite une flotte de 25 chalutiers, 53 sardiniers et 125 petits métiers employant 1425 personnes et produisant quelque 9700 tonnes de poisson par an.