La littérature a été injuste avec Mohammed Dib. Les critiques littéraires surtout. Voilà un écrivain universel qui a été emprisonné dans le carcan national. Comme s'il ne pouvait pas être d'origine algérienne et touchant l'universel. L'enfant de Tlemcen, mort il y a plus de deux ans, s'est vu avec tristesse emprisonné dans sa ville natale. Qu'il parle de Finlande, pays duquel il était tombé amoureux ou de l'Amérique, on s'acharne à lui rappeler La Grande Maison (1952), L'Incendie (1954) et Le Métier à tisser (1957). Un triptyque réducteur au regard de toute son œuvre. « Dib est un immense écrivain et pas seulement un écrivain algérien. Bien sûr, l'Algérie a été son terreau romanesque, son souci et son tourment. Jusqu'à sa mort, il a été empêtré de l'Algérie, son passé, son présent, son devenir, sa représentation. Du fait d'être réduit à son identité, de souffrir du manque de considération affecté à cette identité, comme si être Algérien, Maghrébin, vous minorez tout en vous obligeant à ne parler que de ça », se désole, si justement, son éditrice Claire Delannoy. Dans son dernier livre, fini deux jours avant sa mort, Mohammed Dib démontre une fois de plus toute la liberté et le talent qui le caractérisent. Il se joue des clichés et s'approprie un équilibre assez cocasse entre Laëzza, une fille pour le moins libérée, et autoportrait, d'une rare lucidité. « J'ai fait mon lit dans la langue française ; ce n'est précisément pas un lit de roses ; un lit de roses, rien que cela. Un Algérien habitué à dormir à la dure n'en demande pas tant. » Ce qui peut ressembler à un journal recèle de perles très rares, croustillantes. A consommer sans modération. « On sait que le Paradis ne possède qu'une entrée. Mais sait-on qui en détient les clés ? L'Enfer semble, quant à lui, avoir plusieurs portes et, semble-t-il encore, elles ne sont pas gardées. » Message posthume Ses critiques acerbes font mouche. « En Algérie, on est homme de droit divin et femme de droit commun, voire sous-commun. Qu'on se reporte pour s'en convaincre, au code de la famille, un corpus de lois identique en esprit au code de l'indigénat de triste mémoire-voté dès la proclamation du nouvel Etat et légalisant l'asservissement de nos mères, de nos sœurs. » Et ce message posthume, d'une pertinence aiguë. « L'heure sonnera pour nous, écrivains algériens de langue française, quant à savoir qui recevra notre héritage après notre disparition physique. Une sacrée ambiguïté sera alors levée. A franchement parler, je ne vois pas la France prenant en charge un legs pareil. Mais l'Algérie ? Elle, l'Algérie, n'a jamais assuré un legs culturel. Elle compte parmi cette catégorie de nations anhistoriques, exonérées de mémoire. » Rarement écrivain n'a été aussi dur, aussi juste surtout. Avec beaucoup de raison. Que devient l'héritage de Mohammed Dib en Algérie ? Rien, sinon des anniversaires médiocres, phagocytés par des hommes politiques incultes. Dans Laëzza, l'écrivain se lâche enfin et prend des libertés avec le réel et la littérature. Son écriture est plus originale que jamais. Pourquoi aucun quotidien algérien n'a pensé à lui confier une chronique ? Il n'y pas que le monde littéraire et le pouvoir qui ont été injustes avec lui. L'Algérie avait, elle, toujours besoin de l'universalité de Mohammed Dib. Laëzza, Mohammed Dib, Albin Michel, 2006