Qui se soucie des enfants de la décharge de Oued Smar ? Aucun, nous répondent-ils. Ces gens, qui vivent grâce à la décharge, crient leur accablement aux pouvoirs publics. A moins d'être accompagné d'un « parrain », l'accès à la décharge n'est guère commode. Pour parler à ces personnes, il faut s'y prendre avec soin, car parmi eux il y a ceux qui ont fui leur maison et qui sont recherchés par leurs proches. Aussi, ils ne verraient pas d'un bon œil leur photo étalée sur la une des journaux. S'y ajoute, tout compte fait, la retenue dont font preuve certains. « Travailler dans une décharge publique est mal vu », attestent-ils pour dénigrer des franges entières qui sont restées sur leurs réflexes d'avant. Un journal arabophone, croyant tenir un scoop, les a qualifiés de vagabonds. Comment l'ont-ils su ? s'est-on demandé. A travers la lecture de journaux tout bonnement. Des jeunes à la mine défaite et au regard torve faisaient lecture, lors de notre passage la semaine dernière, d'El Watan. Que cherchent-t-ils ? A cette interrogation pressante, personne n'a osé répondre. Aussi, notre parrain, un homme, dont on taira le nom, nous fera la tournée des lieux. L'homme originaire de la Basse Kabylie n'est là que depuis cinq ans. Il a su s'y intégrer et s'y faire respecter - denrée rare dans cet endroit - par ces personnes. Il faut dire que l'homme en impose également par une carcasse toute en raideur. Tout en soutenant que son employeur a fait des efforts, il dira : « Ces dernières années, les choses se sont quelque peu dégradées. » « Auparavant, on nous servait à la fin du service du lait et autres denrées. Il y avait même des coins pour se restaurer. Chose qui a disparu, par la suite sans que l'on connaisse la raison ». Plutôt irrité, il n'est pas atteint outre mesure, nous confie-t-il. Le coin, l'homme le connaît dans ses moindres encoignures. Il nous informa que pour la seule année 2005, trois fœtus y ont été retrouvés. L'incident du 25 février 2004, en outre, lui est resté au travers de la gorge. Un citoyen, pour rappel, y a été tué par balles. Des incidents, des incendies et autres bagarres sont également signalés la nuit. Traîne-misères abandonnés Les quelque 600 à 650 personnes qui y vivent viennent de partout, même de l'intérieur du pays, surtout des wilayas de Médéa et M'sila. Des Algérois - ne le criez surtout pas sur les toits, ils n'apprécieront guère - sont du tas. Abordé, l'un d'eux nous dira qu'il est de Aïn Naâdja. Des enfants des alentours mettent à profit les vacances du printemps pour dénicher qui du cuivre plutôt rare qui du plastique. Par ailleurs, que ces gens aient à construire des « petites fortunes » et qu'ils aient à défier l'Etat, cela ne fait guère de doute, nous explique-t-on. Toutefois, vouloir « leur enlever le pain de la bouche », comme ils ne cessent de le répéter, n'est pas la solution, attestent-ils. Un commerce des plus juteux se déroule dans cette décharge. Des personnes font les caïds. Ils extorquent les jeunes sous la menace. « Je gagne avec peine 4000 à 5000 DA par mois », dira ce jeune de Médéa venu à la décharge il y a cinq ans. « La menace est réelle avec les gaz et les camions. Des jeunes se disputent des bouts de plastique, au risque de leur vie, qu'ils vendent à un moins de 10 DA », ajoute-t-il. La décision de vouloir en faire un jardin public n'a pas manqué de susciter l'hilarité ainsi qu'un sentiment de frustration nourri pas une appréhension de l'avenir chez ces personnes. « Où irons-nous quand cette promesse deviendra réalité ? », ne cessent-ils de réitérer. Un sentiment de « lâchage ? » est perceptible chez ces petits. La plupart logent sur place ou rejoignent dans la soirée les bidonvilles de Gué de Constantine. Des baraquements de bric et de broc sont visibles partout sur ce qu'on appelle ici la « plateforme ». Des jeunes y vivent côtoyant toutes sortes de maladies. Dans l'un des « bivouacs » se trouvent accolés aux murs trois matelas sales. Des guirlandes et versets du Coran sont suspendus aux murs. « On s'y entasse à plusieurs. Cela dépend des journées. On reçoit souvent des personnes. Nous sommes atteints de maladies de la peau et de l'appareil respiratoire », dira un jeune en avouant ne jamais commettre de vols. « Les voyous sont là- bas », révèle-t-il en désignant du doigt le centre de la capitale. Autres miséreux, les éboueurs de l'Epic Netcom. Du tapage avait entouré la visite sur le site de la délégation officielle de haut rang, les éboueurs ne semblent guère s'en soucier, eux qui pâtissent d'une situation inextricable. La quarantaine à peine entamée, l'un d'eux, originaire de Sidi Aïssa, père de 5 enfants, nous dira lors de la visite du ministre sur le site, sa malvie : « Je travaillais dans le site depuis 22 ans. » « On ne perçoit plus nos allocations familiales depuis 5 mois déjà et avec les 18 600 DA qu'on daigne nous offrir, je n'arrive pas à boucler les fins de mois ». Et de renchérir : « Nous occupons à plusieurs un baraquement dans la décharge. Nous y menons une vie de paria. » S'agissant de la cadence du travail, « nous travaillons par 4 équipes, la première commence à 6 h pour ne s'arrêter qu'à 18h. Il n'y a pas de spécialisation », nous dira un chauffeur payé 14 000 DA, obligé qu'il est de « souder, de décharger et de monter un pneu ». « Ceux que je connais sont morts tous de cancer à peine à la retraite », lâche cet asthmatique. Les combinaisons qu'on leur offre tous les 4 mois ne tiennent à peine qu'une semaine, soutient-on. Fait plutôt désolant, relève-t-on, le fait que les hôpitaux renfrognent à recevoir ces damnés de la... décharge. « A l'hôpital Zmirli d'El Harrach, on nous accueille comme des pestiférés », s'indigne-t-on en ajoutant que les campagnes de vaccination se font plutôt rares.