Le cinéaste Ahmed Zir nous a fait parvenir ce poème qu'il avait écrit lors de l'attentat à la bombe qui avait frappé l'aéroport d'Alger, le 26 août 1992, faisant neuf morts et de nombreux blessés. Ce poème, il l'avait jeté dans un tiroir, à l'instar de ces innombrables textes écrits par des Algériens et des Algériennes, poètes ou non, artistes ou pas, dans une sorte d'auto-thérapie de la tragédie nationale. Les récents événements de Tinguentourine, «au fin fond du pays et loin du regard, ont rouvert une blessure non cicatrisée encore», précise-t-il, et l'ont conduit, 20 ans après, à retrouver ce poème. Ecrit simplement, on y retrouve la vision cinématographique de son auteur dont l'imaginaire zoome sur des détails pour exprimer une image d'ensemble. Chacune des trois strophes commence par les mêmes mots : «Ce matin, le «bêton» a… ». Un mot-valise qui mélange les mots «béton» et «bêtise». Doyen des cinéastes amateurs algériens, Ahmed Zir rencontre depuis 2012 une reconnaissance internationale méritée qui s'est traduite par l'édition, en France, d'un DVD de ses œuvres et l'invitation à des manifestations prestigieuses dans le monde. Ce matin, le «bêton» a bu mon sang. Le plafond froid a stoppé net L'ascension vertigineuse de ma cervelle. Un morceau de rêve, Une bribe de conversation, Quelques miettes d'amour, Une boule de douleur, Une poussière de bonheur et d'espoir, Des traces d'avenir. Ce matin, le «bêton» s'est repu de ma chair. Un reste de son corps, vêtu d'une robe du terroir, Une pour le plaisir du retour au pays, Une robe pour adoucir la nostalgie, Une robe pour ne pas oublier, La jeune fille : C'est ma robe ! La grand-mère : Peut-être la mienne ! Aïcha, l'enfant : Papa me l'a achetée. Ce matin, le «bêton» a piégé mon pied. Un pied qui a enduré toutes les affres, Qui a erré partout, Un pied en voyage, pour une maigre retraite enfin, Un pied qui tente l'aventure au-delà des mers, Un pied qui n'a pas entamé le grand parcours, Un pied incertain, prêt pour le départ. Ce matin, tapie dans la pénombre, la haine jubile. Buvant d'un trait un verre de sang. Ce matin, et tous les matins à venir, On ramasse, ici mon doigt, là son œil, Avec l'espoir de reconstituer, un corps déchiqueté.