Il faut remonter à 1982 pour noter une participation collective de la bande dessinée algérienne dans un festival international. (envoyé spécial à Angoulême) C'était au Festival international de Lucca (Italie) où, d'ailleurs, nos valeureux bédéistes de la première génération avaient obtenu communément le Premier Prix Caran d'Ache. Cette deuxième participation, cette fois à Angoulême, 31 ans après, révèle le trou abyssal dans lequel était tombée la BD algérienne du point de vue de sa présence internationale. Excepté quelques participations individuelles, jamais la BD nationale ne s'était encore manifestée extra-muros de manière aussi importante et, même, assez imposante. Tous les visiteurs se sont montrés impressionnés par la manifestation et, notamment, l'exposition «Caractères», rétrospective en planches originales de l'histoire de la BD algérienne des origines à ce jour. Organisée par le commissariat du FIBDA (Festival international de la BD d'Alger) et l'Agence algérienne pour le rayonnement culturel, on doit sa scénographie à l'artiste Mustapha Nedjaï, également commissaire de l'exposition, qui a tiré tout le parti des Ateliers Magelis, anciens chais de la ville, au bord de la Charente, bâtisse en pierres de taille et colonnes massives réhabilitée en lieu culturel. De prime abord, son emplacement excentré, de même que la pluie et le froid, avaient découragé. Mais c'était compter sans la curiosité du public et la présence en nombre de connaisseurs et experts du genre ainsi que d'amoureux de l'Algérie, tel ce vieux couple français, vivant dans une ferme lointaine, et qui, sans aucune relation avec notre pays, pas même un voyage, collectionnent par pure passion les iconographies d'Algérie. «Eh bien, il était temps que vous veniez ici !», lance le mari, chargé d'une dizaine d'albums achetés sur place. Il était temps en effet… C'était compter, aussi, sans la proximité du musée permanent de la BD et celle de la grande exposition consacrée à Uderzo, l'un des pères d'Astérix. Compter non plus sans l'attrait d'une participation qui a étonné mais aussi intrigué – actualité oblige – comme pour ce banquier bruxellois, fou de BD, qui nous a avoué être venu «en rapport à ce qui s'est passé à In Amenas» qui lui a donné l'envie de mieux connaître l'Algérie, seul pays africain, arabe et musulman présent à ce rendez-vous mondial. Le pavillon a parfois grouillé de monde, à tel point que la panique s'emparait des organisateurs, et notamment de Dalila Nadjem, commissaire du FIBDA, qui passait son trac en posant des questions du genre : «Les dépliants sont bien en place ? Les écrans plasma fonctionnent bien ?», etc. toutes choses vérifiées et revérifiées. Les rushs faisaient craindre par moments de ne pouvoir assurer l'accueil des visiteurs, dont plusieurs établissements scolaires de la ville et de la région. Cette affluence, estimée finalement à près de 2500 visiteurs, a atteint près de 900 visiteurs le troisième jour. Cela ne représente que 1,3% des visiteurs du festival qui, cette année, ont été 220 000. Mais, pour une première, avec une concurrence de 15 grandes expositions et des dizaines d'activités, fourmillant partout et sans cesse dans la ville, le résultat est bien plus qu'encourageant. De plus, les temps de visite étaient généralement assez longs. Paradoxalement, le fait de se situer en dessous du plateau, le centre-ville d'Angoulême qui abrite la plus grosse concentration de manifestations, a permis d'attirer des visiteurs véritablement intéressés, lesquels n'entendaient pas rester pour un bref instant. Les auteurs algériens présents (lire article page 13) en ont pâti d'une certaine manière, fiers et heureux de se soumettre aux séances de dédicaces qu'ils prenaient le soin d'agrémenter de dessins originaux, soumis à de nombreuses questions, mais, d'un autre côté, frustrés de ne pouvoir eux-mêmes visiter les autres lieux du festival, y compris à l'heure du déjeuner. Ils devaient pour cela courir en fin d'après-midi pour arriver avant l'heure de fermeture des autres expositions, exercice réalisable qu'au prix de rotations dans le groupe. Ils ont pu assouvir en partie leur soif naturelle de contacts lors des soirées où chaque café ou restaurant était peuplé de fabricants de bulles du monde entier, enclins à la discussion. De l'avis de tous, le quarantième festival d'Angoulême aura réussi aux cinquante ans de la bande dessinée algérienne en faisant bénéficier cette dernière d'une visibilité remarquable par l'affluence populaire, la grande concentration de professionnels et une médiatisation exceptionnelle. Sur ce plan, le «pavillon» Algérie a été assez bien desservi. Plusieurs journaux l'ont signalé élogieusement. La chaîne France 24 lui a consacré un reportage, affirmant qu'une «nouvelle BD naît en Algérie et s'expose au festival d'Angoulême». Idem pour Europe N° 1 qui a diffusé une émission spéciale. Mais c'est surtout sur les sites et blogs consacrés au neuvième art, particulièrement influents dans ce domaine, que peut se révéler l'ampleur de cet impact. Localement, le système d'information sonore du Festival, diffusant à travers toute la ville, a régulièrement informé de la présence algérienne et de son programme qui comprenait, outre l'exposition, les dédicaces, une conférence sur l'histoire de la BD, une rencontre-débat, une librairie, des projections vidéo... Le quotidien L'Humanité a titré : «La renaissance de la BD algérienne est bien là». Un point de vue partagé par les spécialistes présents ainsi que par Francis Groux, fondateur du FIBD. Ce jeune homme de 78 ans, qui aime déclarer que son élixir de jouvence tient dans la lecture de la bande dessinée, est passé plusieurs fois aux Ateliers Magelis. Il a parlé d'un «terreau fertile pour une bande dessinée algérienne en devenir». L'auteur du Dictionnaire mondial de la BD, Patrick Gaumer, est resté un long moment à l'exposition, acquérant plusieurs albums et discutant avec les auteurs. Il nous a déclaré : «Je ne découvre véritablement la BD algérienne qu'aujourd'hui. Faute de références éditoriales et de participations algériennes comme celle-ci, nous ne signalions jusque-là que Slim. Maintenant, nous pouvons enrichir notre prochaine édition de nouvelles entrées relatives à d'autres auteurs d'Algérie». Ito Yu, chercheur rattaché au Centre de recherches international sur le manga, Université de Kyoto, s'est, lui aussi, montré admiratif de la diversité de la BD algérienne et même surpris par la mouvance DZ-manga. Il a acquis plusieurs ouvrages destinés à la bibliothèque de son centre. La réception de l'Algérie, le 2 févier, a constitué un autre moment fort. En présence du directeur du Livre et de la Lecture publique du ministère de la culture, Rachid Hadj-Nacer, du consul d'Algérie à Bordeaux, Mohamed Alem, le maire PS d'Angoulême, Philippe Lavaud, suivi par la presse accréditée au festival, a tenu à rappeler qu'il avait été invité au FIBDA en 2011, en compagnie du président du festival, Francis Groux, et que ce séjour à Alger lui avait permis de découvrir la dynamique de la BD algérienne. Par la suite, le maire s'est attardé dans l'exposition, discutant longuement avec les auteurs présents. Un autre indice de succès de la participation algérienne réside sans doute dans la vente d'albums et de revues. Le stock disponible a été écoulé à environ 80%, performance édifiante dans une ville qui, en quatre jours, croule sous une avalanche de BD cédées souvent à prix réduits, vendues neuves ou d'occasion. Mais ce sont surtout les contacts noués sur place qui augurent de perspectives intéressantes, prouvant que l'isolement international du 9e art algérien est désormais rompu grâce à la dynamique générée par le Fibda. Le 2e Festival de la BD de Casablanca, en mai prochain, a décidé de retenir l'Algérie comme invitée d'honneur. Son directeur, présent à Angoulême, a confié que l'exemple du Fibda avait été, pour lui, une source de motivation et une référence. Le Festival international de BD de Lyon a invité l'Algérie pour son édition de 2014. Le Musée de la BD de Bruxelles, l'un des plus fameux du genre, a souhaité engager des relations avec le Fibda et envisager des projets communs. De même, le Festival de Lausanne et l'Institut du Monde arabe ont approché la délégation algérienne… Dalila Nadjem, ravie par ces contacts, ne perd pas le nord : «Cela nous donne une responsabilité encore plus grande, car il faut honorer de manière très professionnelle ces contacts internationaux sans oublier que l'essentiel du travail doit se faire en Algérie pour renforcer les bases de notre BD. Si nous sommes parvenus à ce début de reconnaissance, c'est d'abord grâce à ce qui a été fait au pays. On ne doit pas l'oublier.» Sage position car, comme la gloire a une rançon, la visibilité a un revers : celui d'être attendu et observé. En tout cas, d'ores et déjà Angoulême marque un moment de la BD algérienne. Et si nos amis lecteurs et lectrices traînent encore l'amertume de notre élimination en Coupe d'Afrique de football, ils devraient se consoler en pensant que la bande dessinée algérienne a obtenu dans ce temple mondial du 9e art une belle qualification qui appelle cependant à d'autres avancées.