Les conséquences de l'assassinat de l'opposant tunisien Chokri Belaïd pourraient dépasser les objectifs mêmes des auteurs de l'acte odieux et de leurs commanditaires. Ils voulaient installer la peur dans le camp des forces démocratiques, ils ont réussi à faire voler en éclats le fragile consensus créé à la faveur des élections libres d'octobre 2011. Au sein même d'Ennahda, le parti au pouvoir, la divergence l'emporte. L'initiative du Premier ministre, Hamadi Jebali, rencontre en effet une farouche opposition de la part de la direction du parti islamiste qui rejette l'idée de céder les ministères régaliens à des technocrates. La crise pointe à l'horizon chez Ghannouchi et ce sont toutes les institutions transitoires qui sont prises dans l'impasse. L'impasse institutionnelle en ajoute une louche au blocage général qui fige la Tunisie dans un hiver sombre. Elle vient creuser davantage la ligne de partage entre deux projets de société diamétralement opposés et inconciliables. D'un côté, le projet progressiste, laïc et démocratique et, de l'autre, le projet islamo-conservateur qui remet en question l'ensemble des acquis intériorisés par une société tolérante. L'enterrement de Chokri Belaïd a été l'occasion de manifester la fracture sociale et l'impossible sérénité. Aux manifestations anti-islamistes succède la riposte des pro-Ennahda. Spectacle absurde qui traverse la moitié des pays arabes convertis à la mode «printemps». Hormis les pays du Golfe où les monarchies semblent dominer par le glaive et la parole wahhabite, ailleurs, les sociétés font l'expérience amère de l'islamisme à l'assaut du pouvoir. Depuis que l'urne leur a offert le trône en Egypte et en Tunisie, ces deux pays ont basculé dans l'instabilité. En Egypte, au lieu d'œuvrer à tenir ses promesses de sortir le pays de la pauvreté, le président Morsi n'a fait que concentrer les pouvoirs entre ses mains, s'attirant la foudre des révolutionnaires de la place Tahrir. Chez nos voisins tunisiens, non seulement les islamistes peinent à dégager des perspectives économiques rassurantes, mais leur position vis-à-vis de la surenchère violente de la part de groupuscules appartenant à la même idéologie demeure ambiguë, entamant le capital confiance engrangé auprès des couches sociales réceptives. La mollesse des services de sécurité et du ministre de l'Intérieur, Ali Laârayedh, face aux fauteurs de troubles salafistes témoigne plus de la solidarité du clan. Les promesses des dirigeants d'Ennahda quant au respect des droits individuels et collectifs et la protection du caractère démocratique de l'Etat s'avèrent de purs mensonges et sont trahies chaque jour par des actes perfides, au bénéfice d'un projet utopique qui fait basculer la Tunisie dans le chaos.