La décision de former un gouvernement de technocrates a valu au Premier ministre, Hamadi Jebali, d'entrer en conflit ouvert avec la direction du mouvement islamiste Ennahda. Le Premier ministre tunisien, Hamadi Jebali, a assuré hier que les ministères régaliens aux mains de son parti islamiste seront remplacés par des indépendants dans le gouvernement apolitique qu'il veut former contre l'avis de son propre camp. «Tous les ministres seront des indépendants, y compris à l'Intérieur, à la Justice et aux Affaires étrangères», a déclaré M. Jebali à la chaîne d'information France 24, qui l'interrogeait sur l'avenir de ces ministères-clés auxquels le parti Ennahda refuse de renoncer. «J'ai dû prendre cette décision sans consulter les partis politiques le jour de l'assassinat (de l'opposant Chokri Belaïd) de crainte que le pays ne bascule dans le chaos et l'irrationnel», a-t-il ajouté. «Ce n'était pas une initiative de Jebali, c'était une initiative pour sauver le pays», a précise le Premier ministre. «Si l'initiative échoue, qu'avez-vous à proposer aux Tunisiens, quelle alternative ? La loi de la jungle ?», a-t-il lancé à l'adresse de la classe politique. L'assassinat de Chokri Belaïd, opposant tunisien de gauche et leader du mouvement des patriotes démocrates, replonge la Tunisie dans l'impasse. Cet assassinat politique, premier du genre après la révolution du Jasmin, a chamboulé les cartes du gouvernement dirigé par le Premier ministre, Hamadi Jebali. Celui-ci a annoncé, au lendemain de ce lâche assassinat, sa décision de recourir à la formation imminente d'un gouvernement de technocrates. Une décision qui a surpris ses proches et que Jebali a qualifiée d'irrévocable malgré le désaveu de son parti islamiste Ennahda. Ainsi, le Premier ministre entre en conflit ouvert avec la direction du mouvement. «Je m'en tiens à ma décision de former un gouvernement de technocrates et je n'aurai pas besoin de l'aval de l'Assemblée nationale constituante (ANC)», a-t-il confirmé, ajoutant que la composition de ce gouvernement est quasiment prête. Si le parti Ennahda, dont est issu Jebali, a opposé une fin de non-recevoir à cette initiative, l'opposition et la société civile ont applaudi la formation d'un cabinet politique. Ces derniers considèrent cette proposition comme une chance de sortir le pays de l'ornière. De l'avis de certains experts tunisiens, M. Jebali ne fera pas marche arrière et annoncera, probablement, ce lundi, la composante du nouveau gouvernement. «J'ai décidé de former un gouvernement de compétences nationales sans appartenance politique, qui aura un mandat limité à la gestion des affaires du pays jusqu'à la tenue des élections dans les plus brefs délais», avait-il rappelé dans une déclaration télévisée à la nation après les funérailles de Chokri Belaïd. Avec cette annonce, M. Jebali, qui est n°2 d'Ennahda, place devant le fait accompli son parti qui lui reproche, de son côté, sa démarche unilatérale. La présidence de la République a rappelé, pour sa part, que tout changement de pouvoir devait passer par l'ANC, dont Ennahda contrôle 89 des 217 sièges. Toutefois, les alliés des islamistes d'Ennahda au pouvoir y sont plutôt favorables, malgré certaines réserves au sein du Congrès pour la République (CPR), dont est issu le président Moncef Marzouki. En dépit de cette agitation, M. Jebali a affiché sa détermination à mettre à exécution sa décision. Hier, la manifestation organisée à l'appel des jeunesses d'Ennahda n'a pas pesé de son poids, puisque les négociations pour convaincre les réticents se poursuivent toujours. L'autre fait qui conforte Jebali dans sa décision est l'appui de la société civile qui veut en finir, définitivement, avec les pratiques de l'ancien président Ben Ali. Ceux qui plaident pour un remaniement du gouvernement veulent une dissociation entre les activités du parti Ennahda et le travail du gouvernement afin d'éviter la réédition du scénario du président déchu et sa famille. En second lieu, les Tunisiens ont exprimé leur insatisfaction du rendement du gouvernement actuel. Il a démontré ses limites et a fait, selon eux, preuve d'échec à tous les niveaux, notamment dans le domaine de l'emploi et du développement. Beaucoup pensent que les membres d'Ennahda seront contraints d'accepter la proposition du Premier ministre s'ils ne veulent pas être à l'origine de l'embrasement de la Tunisie. En ce moment de crise, certains militants sont persuadés qu'un bras de fer entre les défenseurs et les opposants à un remaniement du gouvernement n'est pas dans l'intérêt du pays.