Le côté théâtral et mélodramatique qu'on impute aux Italiens n'était pas le seul responsable de l'air grave et chargé de tension qu'on respirait, hier matin, dans les villes de la péninsule. On se serait cru transporté dans l'atmosphère oppressante du roman de Dino Buzzati, Le Désert des Tartares. Dans les rues de la capitale, certains parlaient du risque de voir revenir des groupes terroristes de l'extrême gauche ou droite, d'autres craignaient une lutte fratricide ; sur la première page du plus sérieux des journaux italiens, le Corriere della Sera, on pouvait lire : « Les deux Italie, divisées et ennemies ». Dans les lieux publics, la prudence imposait de ne pas dire pour qui on avait voté, tant les nerfs semblaient à fleur de peau. Les uns se sentant obligés de réprimer leur joie et les autres frustrés, car se croyant spoliés de leur victoire. Et l'ironie du sort a voulu que la délivrance vienne des Italiens qui vivent à l'étranger, qui ont pour la première fois et grâce à la nouvelle loi électorale, voulue par Silvio Berlusconi, le droit de voter. Car le léger avantage obtenu par la gauche sur la droite au Parlement, tard dans la nuit, ne rendait pas l'Union majoritaire dans un Parlement où le Sénat semblait dominé par la droite, qui avait un siège de plus. Il a fallu attendre la mi-journée, lorsqu'à la fin du dépouillement, les urnes de l'Europe et de l'Australie ont offert à la gauche 5 sièges en plus. Il n'en fallait pas plus pour la coalition de centre gauche, avec 158 sièges contre les 156 de l'alliance de droite au Sénat et 341 contre 277 à la Chambre, pour s'octroyer la majorité au Parlement et crier victoire. Son succès personnel, M. Prodi l'avait fêté, à 3h, devant le siège de son parti, à Rome, dès que les projections ont établi la dominance de la gauche à la Chambre des députés. Pour sa part, Berlusconi n'a pas eu des mots tendres pour ses adversaires, lors de la conférence de presse qu'il a donnée, tard dans la soirée d'hier. Selon le Premier ministre sortant : « Personne ne peut parler de victoire (....) à moins de faire les calculs d'épicier. » Les éditoriaux des quotidiens, d'hier, ont tenté d'analyser le « phénomène » Berlusconi, qui a réussi, malgré une gestion désastreuse de l'économie, à tenir tête à ses adversaires dans ce scrutin serré, auquel, plus de 83,6% des 47 millions d'électeurs ont pris part. Selon les commentateurs de la presse italienne, M.Prodi aurait pu comptabiliser davantage de voix s'il n'avait pas centré son programme électoral sur la nécessité de rétablir les impôts sur les fortunes, alors que le chef du gouvernement sortant avait, lui, promis de retirer la taxe sur le premier logement de propriété. Hier, alors que les télévisions publiques diffusaient, lors de directs non-stop, les bulletins d'information sur les exit poll et les projections, sur une chaîne de Berlusconi on pouvait voir une émission satirique, dont l'animateur recevait un appel de son père qui lui demandait : « Alors, je les paie ou pas ces impôts ? », et son fils de lui répondre : « Mais attends donc de voir qui va gagner aux élections ! » M. Prodi, non plus, ne semble pas avoir perdu son esprit taquin, malgré cette victoire obtenue dans la douleur et la confusion, le « professore », a lancé aux journalistes rassemblés au siège de son parti, à Rome : « J'attends un appel de félicitations de Berlusconi, c'est l'usage dans les démocraties modernes. » Quant au vieux Ciampi, il aurait, sans doute, voulu clore son septennat dans l'atmosphère feutrée des salons du palais Quirinale, au lieu de se retrouver appelé à résoudre un véritable imbroglio constitutionnel, avant son départ prévu pour mai prochain.