La taupe italienne qui a permis aux magistrats milanais de remonter la filière italo-algérienne qui permettait à Saipem de soudoyer des dirigeants de Sonatrach et des responsables algériens est connue. Il s'agit de l'ex-directeur général de Saipem en Algérie, Tullio Orsi. Rome. De notre correspondante Dès que la justice algérienne a commencé à enquêter sur l'ampleur de la corruption au sein de Sonatrach, en 2010, Tullio Orsi s'était empressé de quitter l'Algérie pour ne pas être inquiété. Les investigateurs italiens sont remontés jusqu'à lui grâce à son compte à l'étranger, très garni. Mis en examen tout comme le n°1 d'ENI, Paolo Scaroni, l'ex-dirigeant de Saipem a choisi de collaborer avec les magistrats afin d'alléger sa position. C'est lui qui a raconté aux enquêteurs les circonstances des rencontres que le patron d'ENI a eues avec le ministre de l'Energie de l'époque, Chakib Khelil, dans un hôtel parisien, le George V. A ces réunions informelles était présent l'homme-clé des négociations italo-algériennes. Farid Noureddine Bedjaoui, neveu de l'ancien ministre des Affaires étrangères Mohamed Bedjaoui, qui, par le truchement de sa société établie à Hong Kong, Pearl Partners Limited, servait d'intermédiaire aux Italiens. Scaroni aurait assisté à au moins un de ces sommets clandestins afin de s'assurer que Saipem obtiendrait l'amplification des explorations du gisement de Menzel Ledjemet Est, dans le bassin de Berkine (Hassi Messaoud) qui est entré en activité au début de ce mois. Un autre concurrent, la société japonaise Japan Gasoline, avait été écarté en 2007 pour favoriser ENI. D'autres rencontres ont suivi dans un autre hôtel, le Bulgari, à Milan. En tout, les hommes d'ENI auraient déboursé 197 millions de dollars, distribués aux responsables de Sonatrach et aux intermédiaires, pour décrocher huit contrats portant sur plus de 11 milliards de dollars, dont le projet de la construction du deuxième gazoduc reliant l'Algérie à l'Italie, le Galsi (Algérie-Sardaigne-Italie) dont la réalisation semble désormais compromise. L'histoire italienne semble se répéter. Deux décennies sont passées et les pratiques douteuses en matière d'affaires semblent dures à éradiquer. L'actuel patron d'ENI lui-même avait été condamné, à l'époque, pour corruption. Les analystes italiens n'hésitent plus à parler de Tangentopoli II, du nom de la première vague d'enquêtes anticorruption menées par un pool de juges milanais au début des années 1990. En italien, le mot «tangente» signifie pot-de-vin. Tout a commencé le 17 février 1992, il y a exactement 21 ans, lorsqu'un dirigeant politique du Parti socialiste, Mario Chiesa, fut arrêté en flagrant délit. Il venait d'encaisser un gros pot-de-vin exigé à un entrepreneur bénéficiaire d'un marché. Beaucoup de têtes étaient tombées et l'ancien président d'ENI, Gabriele Cagliari, s'était suicidé en prison en juillet 1993. Les Italiens évoquent cette période comme la fin de la première République. L'actuel président du groupe pétrolier, Paolo Scaroni, était l'un des condamnés ; il avait vu sa peine réduite à un et quatre mois de prison après avoir accepté de collaborer avec la justice. Il avait été reconnu coupable du délit de corruption de dirigeants de l'entreprise publique d'énergie ENEL, dans le but d'obtenir un important marché pour la société Techint dont il était le patron.