Du matin jusqu'au crépuscule, je ne fous rien, assis sur un banc de la célèbre Place rouge, place de tous les ragots, de tous les dénigrements, je contemple, au hasard du temps qui passe, la populace, des citoyens aigris, fiévreux, stressés et qui, faute d'occuption, méditent sur le sort peu enviable. Pas de travail et des bouches à nourrir... Le plus dur, ce sont les factures de Sonelgaz et de l'ADE ; quant à l'OPGI n'en parlons pas. Chez moi, il y a longtemps que le gaz est coupé, la lumière est devenue obscurité, je ne vois que grâce à la chandelle ; quant à l'eau, on a emporté le compteur à force de trimballer mes jerrycans (ceux des huiles écumées dans la décharge publique). J'ai l'échine brisée et douleureuse. On a dit que le chômage dans notre pays n'est pas une fatalité. Pourtant, cela fait un quart de siècle que je chôme, j'ai fait le tour de toutes les entreprises ou du moins ce qu'il en reste. Partout on ne recrute pas, au contraire, on licencie à bras-le-corps. La boucle est bouclée et l'unique entreprise productive risque de mettre la clé sous le paillasson dans les prochains jours, afin que le collectif rejoigne les centaines de pères de famille remerciés. Du côté des marchands ambulants, des dizaines fouillent et farfouillent dans les poubelles. Les plus chanceux s'échinent à dénicher une pomme de terre, inestimable trésor nourricier. On parle de pluie, une pluie qui ne veut pas tomber, et même si elle arrive, à quoi cela servirait-il ? Aujourd'hui nous sommes un jour de semaine les places sont pleines de monde, jeunes et moins jeunes rencontrent enturbannés ou costumés, même les morts y sont de la partie (Dieu oblige). Chez nous, rien ne se perd, tout se transforme. Il paraît que même le bureau de main-d'œuvre est au chômage, l'Ansej et l'EDJ sont à la recherche d'un bloc. De grosses cylindrées passent avec musique de raï et de pop, conduites par des jeunôts, la place du 17 Octobre vibre. Les infortunés parlent de ce fils à papa, d'autres empiètent ce luxe tapageur au fruit du bakchich en Europe. En tout cas, les jeunôts font des envieux. Il est 11 h, la faim me tenaille les entrailles. Je pense à l'hospice de vieillards. Là-bas au moins on mange. Ah ! si Coluche était né Algérien, le chômage serait une fatalité, quoi qu'on dise ! Quant aux petits... Bien qu'ils ruent dans les bracards, ils ne sont pas sortis de l'auberge, nous non plus d'ailleurs. Les disciples des saints patrons de la région Ghzoul se font entendre au son des tambourins et des karkabou, histoire de glaner quelques dinars. Autrefois, cette pratique se faisait une fois l'an par la troupe Zokrom, maintenant, on n'a droit qu'à la sérénade tous les jours que Dieu fait. Les temps sont durs et il faut bien gagner sa croûte (n'est-ce pas Rach, Kosso, Zergana, Noufi et Anet... ?) Voilà les policiers qui pointent leur nez et les vendeurs à la sauvette qui prennent leurs jambes à leur cou. Rue Saïm Djillali, la friperie est à l'honneur, Hadj, un vieux du terroir propose des lames de rasoir, à quoi ça rime tout ça ! On passe son temps à se rouler les pouces à l'ombre du centenaire à regarder les mendiants, les malades mentaux, les enfants et les adultes dans ces rues et surtout devant les mosquées et les boulangeries. Midi sonnante, chez Ghoulamallah, la ville se vide comme par enchantement, les magasins baissent rideau, les véhicules se font rares, les poissonniers rempilent le poisson restant. Ils le vendront demain, la DCP en congé, et les brigades ont changé pour des activités rentables, préférant elles aussi le commerce. Les services d'hygiène ne passent jamais et même si... ils n'y verront que du feu. Tiaret, ville fantôme. Seuls les corbeaux fidèles à leurs habitudes juchés sur des fils électriques continuent à croasser. Une malédiction frappe la capitale rostomide. Peut-être celle de Sidi Khaled « Ya khouya El Houari » le saint patron de la cité que l'on a oublié et piétiné à bien des égards ? Ya si Ahmed.