Le public du Fespaco a fortement applaudi dimanche soir Yema, la fiction de l'Algérienne, Djamila Sahraoui, en compétition officielle. Ouagadougou (Burkina Faso) De notre envoyé spécial Grande foule, dimanche soir à la salle Burkina, à Ouagadougou, à l'ouverture professionnelle du 23e Festival panafricain du cinéma et de la télévision (Fespaco). Le film algérien, Yema, de Djamila Sahraoui, a eu l'honneur de lancer la compétition officielle, en présence du Premier ministre burkinabé, Luc Adolphe Tiao, et du ministre de la Culture, Baba Hama. «C'est un grand honneur pour moi. Sans doute parce que cette année, les femmes président tous les jurys ! Je savoure le fait qu'un film réalisé par une femme soit présenté en premier», nous a déclaré Djamila Sahraoui après la projection. La présidente du jury longs métrages, la Martiniquaise Euzhan Palcy, a pris la parole avant la projection pour faire un véritable plaidoyer pour le septième art africain : «Il y a beaucoup de cinéastes sur ce continent qui se battent pour exister. Le cinéma est extrêmement important pour nos pays aujourd'hui, surtout aujourd'hui. Il faut laisser des traces, donner des exemples. Les films sont des témoignages sur l'époque. On parle beaucoup de pétrole et d'or. Je peux vous assurer qu'un peuple qui n'a pas de cinéma, un peuple qui ne se voit pas à l'image, qui ne s'entend pas, est un peuple qui va disparaître !» Euzhan Palcy est la réalisatrice notamment de Une saison blanche et sèche. Pionnière du Fespaco, la Burkinabé Salimata Salembré, honorée par la manifestation cette année, a, pour sa part, rappelé le combat qu'elle a entamé il y a 44 ans avec d'autres cinéastes pour que l'Afrique produise ses propres images et rompe avec la consommation sans modération d'images européennes, américaines et indiennes. «La véritable pénétration coloniale s'est faite à travers la diabolisation de nos us et coutumes et par la valorisation subséquente de la civilisation de l'occupant. Nos langues, notre habillement, nos traditions, notre cuisine, bref, toutes les valeurs qui constituaient les fondements de notre culture ont été vouées aux gémonies et déconsidérées», a déclaré Salimata Salembré. Pour elle, le cinéma libère l'esprit. Citant le cinéaste sénégalais Sembène Ousmane (décédé en 2007), elle a soutenu l'idée que le cinéma doit être «l'école du soir» pour les Africains. Pour rappel, Yema de Djamila Sahraoui, déjà projeté à Alger et primé dans d'autres festivals, notamment à Moscou et Oran, raconte l'histoire de Ouardia qui se retrouve dans sa maison, isolée en plein montagne et tente de surmonter la douleur de la mort de son fils, un militaire tué par des terroristes quelque part en Algérie. Ouardia refuse de pardonner à son autre fils, devenu activiste islamiste, la mort de Tarik, l'officier. C'est donc une tragédie, comme celle de la Grèce antique, qui se déroule sur fond de terrorisme en Algérie en territoire ouvert. La mère dure et cruelle rappelle probablement l'Algérie, celle qui ne cesse de «dévorer» ses enfants. Djamila Sahraoui, entourée de journalistes fortement présents au Fespaco, a évoqué les thèmes qu'elle aime traiter dans ses films: la violence, l'enfermement des femmes et la mutilation de la jeunesse (d'où la présence d'un personnage ayant perdu une main dans Yema). «La jeunesse n'est pas heureuse en Algérie. Elle est sacrifiée», a-t-elle dit. Elle a souhaité que les institutions publiques algériennes donnent plus d'argent à la production des films et à la formation des artistes et des techniciens. Le Fespaco débat, cette année, du sujet, très sensible du cinéma africain et des politiques publiques. Un colloque international est prévu sur ce sujet. Le Fespaco rend hommage aussi, à travers la projection de plusieurs films, aux cinéastes africains disparus, à l'image des Sénégalais Thierno Ndiaye Doss et Massaer Dieng le Gabonais Charles Mensah, le Congolais Dieudonne Kabongo Bashila, le Burkinabé Kouka Aimé Zongo et l'Ivorien Kitia Touré... Le Fespaco n'a pas oublié le Brésilien Zozimo Bulbul, créateur du centre «Afro carioca» qui fait la promotion du cinéma africain en Amérique du Sud. L'amour interdit de la Médina Après Yema, la fiction marocaine Les Ailes de l'amour (Jnah el hwa) de Abdelhaï Laraki a été projetée à la salle Burkina. Tourné à Casablanca, le film explore des terrains déjà dévoilés : amour, tradition, religion, le tabou sexuel, hypocrisie sociale. Thami (Omar Lotfi) subit la pression intenable d'un père castrateur (le cinéma maghrébin en fait un thème presque permanent !) dans une médina marocaine. Harcelé, Thami tente de trouver l'amour à travers une... boucherie. Abdelhaï Laraki fait de la viande un élément presque érotique ! Thami finit par rencontrer l'amour en plongeant dans les yeux noirs de Zineb (Ouidad Elma). Mais Zineb est déjà mariée à un vieux militaire jaloux et presque impuissant. Première difficulté. Deuxième difficulté : Thami, qui semble subir son sort sans résistance, est marié de force à Keltoum, sa cousine. Troisième difficulté : les gens du quartier s'intéressent à l'amour «interdit» entre Thami et Zineb. Le film évolue selon un rythme qui permet facilement de prévoir la suite, tant il ressemble parfois à un mélodrame ou peut-être même à une feuilleton sentimental. Exprès ? Possible, Abdelhaï Laraki, pour échapper aux clichés habituels, a voulu s'attaquer de front au poids des traditions et à l'enchaînement de la famille, de la société par extension. Le militaire, qui perd sa jeune épouse après un pèlerinage à La Mecque, est là pour symboliser la faillite d'un système patriarcale rattrapé par l'arthrose. Et le mokadem, sorte de vigile en poste avancé dans les quartiers populaires, qui scrute de près les amours de Thami, semble rappeler les habitudes policières qui prennent parfois les traits d'une terreur moralisante. Une terreur, qui, par la force de l'actualité mouvante des pays arabes, se met en avant. Politique ? Les Ailes de l'amour, pas vraiment. Le film, qui puise laborieusement dans le registre «j'ose donc j'existe», est desservi par un scénario (co-écrit par Violaine Bellet et Abdelhaï Laraki) trop plat. Même inspiré du roman de Mohamed Nedali, Morceau de choix, le scénario qui entraîne dans sa chute une épaisseur artistique que Abdelhaï Laraki a manqué d'une marche. Love at the Medina est certes un film contemporain, mais son argumentaire est trop classique pour être convaincant ou novateur. L'idée de combattre l'ordre oppresseur par l'amour n'est pas mauvaise, mais il fallait seulement bien la mener, jusqu'au bout. Dimanche soir, le public du Fespaco a eu également à découvrir, How to steal 2 millions ? (Comment voler deux millions) du Sud-Africain Charlie Vundla. Cet ancien journaliste sportif, formé à New York, vient au cinéma après avoir planté sa caméra dans les champs ouverts de la télévision. Un passage difficile.